Montpellier, musée d'Art brut : Armand Avril, la modestie des matériaux, le foisonnement des motifs
Du haut de ses 95 ans, l'artiste et collectionneur Armand Avril contemple la vie avec humour, créant avec simplicité des tableaux-assemblages à partir d'objets modestes, récupérés ici ou là… Le Musée d'Art brut, singulier et autres lui consacre une exposition temporaire jusqu'à fin décembre 2021.
Une ascendance artistique
Né en 1926 d’un père peintre en lettres – membre du groupe Témoignage – Armand Avril a souvent reçu dans son enfance comme injonction, quand il se trouvait avec son père, de “filer au musée plutôt que de rester à ne rien faire à la maison”. Il a gardé de cette période le plaisir de fréquenter les musées, mais aussi la sensation de n’être jamais assez intellectuel ni cultivé pour un père qui mettait la barre très haut. Un père trop tôt disparu, en déportation, mais dont il parle encore beaucoup maintenant. La grande référence de sa vie.
Armand Avril, bien que devenu artiste depuis, est un homme très modeste. Il se réjouit de “la chance” qu’il a eue tout au long de sa carrière, que ses œuvres se vendent dès sa première exposition, mais est trop humble pour imaginer même avoir du talent.
Une évolution qui le ramène toujours au plaisir du geste
Il a fait ses débuts en s’essayant à la peinture sur papier à l’huile ; c’est sa période des Dubonnet, variations sur les publicités du même nom signées par le graphiste Cassandre. Il faut dire qu’à Cotignac (Var) où il vit, il passait chaque jour devant des publicités Dubonnet.
Puis, ravi un jour par la forme née de la découpe en 4 morceaux d’un bouchon de champagne, il crée des assemblages répétitifs de bouchons en liège découpés. Le bois l’inspire également, notamment les pinces à linge. Et actuellement, il peint sur carton. Un ami proche, qui le fréquente au quotidien, confie que, finalement, malgré les années, Armand Avril n’a pas changé de style. Il passe juste d’un médium à un autre, en fonction de ses envies ou de ses conditions de travail. Tout juste assume-t-il d’avoir désormais “plus d’audace et besoin de ne pas faire comme les autres”. “Je suis plus caricatural, j’ose faire les choses, maintenant”, ajoute-t-il.
“J’ai été berger puis ouvrier, j’ai travaillé en usine en tant que manœuvre devant un tour. J’y devenais fou, je cassais les outils. Si j’avais mieux gagné ma vie, je n’aurais pas été artiste.”
Armand Avril
Inspiré par les autres peintres et par l’art primitif
Depuis toujours, tout comme son père, Armand Avril est un grand collectionneur d’arts premiers – masques, statues… Il apprécie le côté épuré et la modernité de l’art primitif. Il a d’ailleurs effectué de nombreux voyages en Afrique : Mali, Togo, Burkina Faso… Armand Avril vit parmi des centaines d’œuvres primitives (il vient d’en donner soixante-cinq au Musée des Confluences de Lyon, ville dont il est originaire) et au milieu d’un joyeux fouillis de matériaux bruts qui lui donnent matière à créer, et que ses voisins lui apportent pour qu’il les sacralise : morceaux de métal, bois, tissus, bouteilles, bouchons, pinces à linge… Il réalise un important travail de collecte préalablement à ses créations : “Je fais les poubelles depuis cinquante ans”, ironise-t-il.
Il se décrit comme un collectionneur accumulateur, ce que reflète d’ailleurs son travail, extrêmement foisonnant : “Je vis dans le bordel. C’est impératif, sinon l’inspiration ne me vient pas. Chez moi, ça ne doit pas être rangé ; c’est comme l’atelier de Beacon. C’est invivable pour les autres, mais c’est ma façon de vivre et de créer”.
“Chez moi, l’émotion déclenche la création”
Armand Avril
“Je pars d’une vision, d’une anecdote, de choses que je vois autour de moi, mais aussi beaucoup des autres peintres. Je n’invente rien. Je regarde et j’en tire parti sans honte. Je suis un voleur d’images. Quand je m’inspire d’une œuvre, je fais du Avril, de toute façon”, explique-t-il. En effet, s’il s’inspire de Dufy, Bonnard, Matisse, Picasso, Chaissac, du groupe Cobra ou du Corbusier, notamment, il est bien difficile de trouver en quoi. Mais simplement, une certaine idée d’un tableau est née dans son esprit, et il l’a retranscrite avec les moyens simples qui sont les siens. Pour ses Mers à Cassis (paysages de calanques), c’est un poème du peintre Wolls qui lui a fourni l’idée première. “Hirst, à la Fondation Cartier, m’a redonné envie de travailler avec des taches, sur des sacs de farine en papier que j’agrandis. J’huile par dessus”, confie-t-il avec joie.
Récurrence de thèmes et de motifs
Plusieurs thèmes reviennent régulièrement dans ses créations : des personnages très simples, mais aussi de nombreux chats, animal qu’il adore par-dessus tout. “Enfin, plutôt les chattes”, avoue-t-il, espiègle. Il a également décliné les fameuses Croix des mariniers, avec leur symbolique importante. “J’ai vu ma première croix de marinier chez un antiquaire, aux alentours de Lyon. Je me suis fait envoyer des photos, et je me suis renseigné pour en savoir plus. Il s’agit des mariniers du Rhône”, précise-t-il.
La mort rôde dans certaines de ses compositions, comme ses assemblages de têtes de mort en bouchons de liège.
Ses créations abordent aussi des sujets plus ludiques, comme ses Tireurs de langue, une œuvre que le public peut actionner tout simplement en retirant ou en remettant les langues dans les bouches des personnages…
Ses œuvres, aux tonalités souvent naturelles, sont parfois éclairées de touches de couleur verte, bleue ou rouge pour mieux rehausser certaines zones. Car Armand Avril est mû par un sens aigu de la composition, qui lui est venu un jour, dans un musée, alors qu’il contemplait une œuvre impressionniste.
Présent dans de nombreuses collections publiques
Armand Avril a su dès ses débuts séduire les collectionneurs, d’abord dans ses galeries parisiennes successives installées à Paris, dans le Marais, puis à l’occasion d’expositions dans de nombreux musées et centres d’art. Au fil des ans, plusieurs de ses œuvres ont rejoint les collections de musées et fonds importants, comme le Musée d’Art Moderne de Paris, le Centre national d’art contemporain de Paris, le FRAC Rhône-Alpes, et bien entendu le Musée d’Art Brut de Montpellier.
Informations pratiques
Musée d’Art Brut de Montpellier – 1, rue Beau Séjour – 34090 Montpellier.
https://www.musee-artbrut-montpellier.com/