Montpellier, Musée d'Art brut : Gérard Lattier, entre foi, traditions, légendes et contes
Jusqu'au 30 avril 2022, le folklore et les traditions et légendes interprétés par Gérard Lattier ornent les cimaises du Musée d'art brut, à Montpellier. Rencontre avec un homme du peuple, attaché à l’amitié, aux petites choses du quotidien et à la bonté d’âme, installé à Poulx, entre Nîmes et Uzès.
A 84 ans, Gérard Lattier est un peintre porté par sa foi. Ce qui n’empêche pas l’irrévérence de certains de ses tableaux, très narratifs, qui font se côtoyer des saynètes et des textes explicatifs, simples mais souvent drôles. Conteur, Gérard Lattier l’est aussi bien dans ses œuvres qu’à l’oral.
Un début de carrière très sombre
Gérard Lattier a commencé à dessiner petit. « Atteint d’une méningo-encéphalite, paralysé des jambes, je me suis mis à dessiner. Je me suis tellement régalé que j’ai continué ». Refusant de faire la guerre d’Algérie, il a été enfermé en asile psychiatrique, où il a peint son premier tableau : un Christ aux outrages. « Les docteurs m’ont réformé au bout de six mois et ont gardé mes tableaux. Je ne sais pas ce qu’ils sont devenus », sourit-il.
Ses tableaux étaient alors très sombres, reflétant la dépression dans laquelle il était alors plongé. « Je peignais des choses très noires entre 20 et 27 ans, au point que ça me rendait malade », se souvient-il. Il représente à ses débuts des monstres, cadavres et autres corps torturés. Ses œuvres, axées sur la nudité féminine, le sado-masochisme, sont à connotation scatologique. Il faut dire qu’il fréquente à l’époque les artistes Clovis Trouille et Pierre Molinier, dont les œuvres influencent sans doute son style.
Peindre vers la lumière
Plus tard, après avoir été atteint de cécité progressive mais heureusement temporaire, sa palette s’éclaircit, ses thématiques s’adoucissent, et il se tourne vers les Evangiles, les contes et traditions. « Je ne voulais pas entraîner ma famille dans ma noirceur, je me suis donc dirigé vers la lumière », analyse-t-il. Dans une sorte de rédemption, Gérard Lattier peint d’abord 40 tableaux sur la bête du Gévaudan, rapidement acquis par la mairie de Saint-Etienne-de-Lugdarès. Quand on le lance sur le sujet, le peintre est intarissable, puis résume « C’est une histoire de riches et de pauvres ». Car Gérard Lattier peint souvent le petit peuple, les gens ordinaires. Il a une pensée pour la petite bergère, Jeanne Boulet, première victime de la bête du Gévaudan, qui fut enterrée sans sacrement, le curé ayant refusé de l’enterrer en terre bénite pour ne pas déplaire au roi.
Gérard Lattier retrouve une certaine joie de vivre, qu’il retranscrit dans ses œuvres, représentant des saynètes plus joyeuses, voire humoristiques.
Il s’intéresse à la vie des villages, aux traditions, aux histoires véhiculées par les anciens, à la culture occitane, sans oublier les drames de la guerre, contre laquelle il s’insurge. Ses tableaux racontent des histoires. Il crée aussi des ex-voto dédiés à divers saints.
Il réalise 120 tableaux sur les Evangiles. « La religion m’est tombée dessus quand j’avais 12 ans, au catéchisme. Mais ce n’est pas incompatible avec mon esprit libertaire. Jésus parle de liberté. Quand la brebis est égarée, le bon berger va chercher sa brebis perdue en laissant tout son troupeau ; c’est le contraire de la raison d’État. »
Gérard Lattier apprécie la peinture mexicaine et haïtienne, Frida Kahlo et ses ex-voto, dont il se sent très proche. Il raconte les Evangiles « de façon épouvantable, ou non, comme Georges Brassens parlait de la guerre de 1914-18 ». « J’essaie comme lui de raconter des choses cruelles, drôles, paisibles, comme un petit enfant ». D’ailleurs, ses derniers tableaux sont des hommages à Brassens.
Conteur hors pair
L’écriture intègre progressivement ses tableaux, comme pour en dire plus, expliquer, raconter des histoires. Car le peintre est un homme bavard, au point de devenir conteur : « Je raconte des histoires pour mes enfants et les petites gens ».
Il ajoute : « Au début était le verbe, le verbe s’est fait chair. Il y a une force dans le verbe, dans le texte. J’ai voulu conjuguer textes et images. Les gens de pouvoir n’aiment guère les images, certaines religions ont interdit les images. Je crois que dieu aime les peintres et les images. J’écris les histoires pour qu’elles ne se perdent pas. Je les transmets comme des bouteilles à la mer ».
L’amitié avec Marcel Allemann
De nombreux tableaux de Gérard Lattier portent sur son ami Marcel Allemann, qui fut déporté au camp de concentration de Dachau. Un personnage truculent qu’admirait beaucoup le peintre, et dont il parle encore beaucoup. Un homme qui garda une partition cousue dans le revers de sa tenue de prisonnier à Dachau durant toute sa captivité, malgré le risque qu’il encourait.
Un homme qui, bien des années après, sentant sa fin proche, trouva que le prix payé à l’avance pour organiser ses funérailles à venir était bien trop cher, commentant : « A Dachau au moins c’était gratuit ». « Il m’a donné le goût de la vie, comme de nombreuses petites gens », commente Gérard Lattier.
Son dernier tableau
Son tableau en cours, sans doute influencé par la pandémie de Covid, porte sur l’épopée du vaccin antirabique. « En France, Louis Pasteur fait des recherches sur la rage. A l’époque, on vous étouffait entre deux matelas pour que vous ne mordiez pas. Le berger Jean-Baptiste Jupille s’apprête à mourir de façon épouvantable, de la rage. Pasteur a mis au point un vaccin, il pique le petit berger Jupille, qui survit et finit par guérir. Pasteur a pris un risque », commente Gérard Lattier.
Informations pratiques
Exposition temporaire Gérard Lattier visible jusqu’au 30 avril 2022.
Musée d’art brut – 1, rue Beau Séjour – 34090 Montpellier.