Montpellier, profession médecin légiste : “nous sommes un service hospitalier dédié à combattre la maladie de la violence"
Le Professeur Eric Baccino est le chef du service de médecine légale au CHU de Montpellier, basé à l'hôpital Lapeyronie. Avec douze autres médecins légistes et des infirmières, ils reçoivent les vivants en quête de réponses, ainsi que les défunts dont ils doivent dévoiler les secrets.
“Combattre la maladie de la violence”
La figure du médecin légiste n’est pas étrangère aux fantasmes des spectateurs des séries américaines. Souvent dépeint comme un héros de l’ombre, impassible face à l’horreur qu’il côtoie, son rôle est bien souvent limité à celui de “traducteur” de la mort. Mais au-delà de cette image, déformée par les raccourcis scénaristiques, la profession de médecin légiste va bien au-delà, s’intéressant aux morts suspectes certes, mais également à la détresse des victimes venues mettre des mots sur la violence dont elles ont fait l’objet. “En réalité, la majeure partie de notre activité est dédiée aux vivants, clarifie le professeur Eric Baccino. Souvent, si les étudiants se dirigent vers la médecine légale, c’est pour l’autopsie sur le cadavre, mais notre véritable implication se manifeste dans le traitement des victimes vivantes.” Et les chiffres en sont la preuve : “Chaque année, nous réalisons environ 600 autopsies et nous gérons également 1 800 cadavres, dont les hospitaliers, et nous rencontrons près de 3 500 victimes vivantes et gérons plus de 3 000 gardés à vue, jour et nuit.”
L’équipe du service de médecine légale, composée de treize légistes à temps plein, travaille 24 heures sur 24 pour prendre en charge une diversité de cas, enregistrant plus de 8 500 réquisitions par an, dont la grande majorité concerne les vivants, victimes ou délinquants. “Nous sommes un service hospitalier dédié à combattre la maladie de la violence, poursuit le médecin. Nous effectuons notamment des expertises sur des cas de violence, allant des coups de couteau aux agressions sexuelles, en passant par les violences intra-familiales, avec le soutien de psychologues, infirmières et associations spécialisées.”
Le temps des constatations
Les médecins légistes du CHU de Montpellier partagent leur temps entre les vivants et les morts, offrant écoute et informations aux victimes, ainsi que des débuts de réponses aux familles des défunts. Outre les consultés et les proches, ils dialoguent avec les autorités, partageant des informations parfois vitales à la résolution des affaires. “La différence entre le cadavre et le vivant est qu’il y a environ 15-20% de vivants qui viennent nous voir sans réquisitions judiciaires, poursuit le professionnel de santé. Soit ils sont orientés par les services hospitaliers, soit nous les recevons en consultations, au rez-de-chaussée de l’hôpital Lapeyronie. Pour les morts, c’est une tout autre histoire, nous intervenons exclusivement sur réquisition judiciaire.”
Une fois la réquisition reçue, l’équipe intervient rapidement, de jour comme de nuit. “Lorsque les circonstances sont suspectes, nous nous rendons sur les lieux, surtout en cas de suspicion d’homicide, développe Eric Baccino. Souvent, le cadavre nous est amené ici, où nous pratiquons l’autopsie à deux, garantissant toujours la présence d’un expert judiciaire.”
Dans les deux cas, l’équipe réalise une autopsie “complète”, ne se limitant pas aux indicateurs évidents de la cause du décès. Cet examen dure en moyenne deux heures et inclut des prélèvements systématiques, tels que la toxicologie et l’anatomopathologie, c’est-à-dire l’étude des altérations organiques des tissus et des cellules provoquées par la maladie. “Notre service fonctionne avec un budget global, ce qui signifie que l’autopsie est incluse, mais les analyses complémentaires telles que la biologie, l’ADN et les scanners sont discutées au cas par cas, ajoute le chef de service. Environ un tiers des cadavres sont soumis à un scanner, particulièrement dans les cas de suspicions d’homicide, de traumatismes ou de suicides. Le scanner offre des avantages, notamment pour les lésions osseuses, mais il ne remplace pas complètement l’autopsie, qui nous permet d’analyser les tissus mous”.
Partager les découvertes
Une fois l’autopsie effectuée, les médecins légistes rédigent un rapport détaillé et signent le certificat de décès. Parfois, ces certificats sont envoyés aux familles qui en font la demande, notamment pour les démarches auprès des compagnies d’assurance. À chaque fois, ils collaborent étroitement avec les autorités judiciaires, assurant ainsi une chaîne d’expertise médico-légale complète et rigoureuse. Puis, dans certains cas, vient le temps des assises.
“Dans l’enceinte solennelle des assises, nous intervenons en tant qu’expert. Nous assistons au débat, après avoir pris rendez-vous malgré notre emploi du temps chargé. Dès notre arrivée, nous écoutons attentivement les échanges, déposons nos expertises avec soin, sans la moindre hésitation. Je trouve un immense plaisir dans cet environnement. Pour moi, les assises sont la cerise sur le gâteau. Mon amour pour l’art de l’explication et la pédagogie que je déploie dans mes 400 heures de cours par an se reflète ici. La cour d’assises, c’est un théâtre judiciaire particulier, où chaque mot doit être pesé et chaque geste doit être justifié.”
Contrairement au système américain, où la guerre des experts est coutume, la justice française ne cède que rarement aux sirènes de la confrontation. “En France, notre système d’autopsie a évolué au fil des ans, passant d’une pratique critiquable où chaque légiste avait son propre domaine d’intervention, à un modèle centralisé dans les grands centres. Cette réforme a considérablement amélioré la qualité des autopsies, réduisant ainsi les divergences d’interprétation.”
Un domaine perfectible
Cet arsenal de l’autopsie, aidé par les progrès de la médecine légale, reste cependant perfectible pour Eric Baccino : “Je suis convaincu que le nombre de féminicides en France est sous-estimé en raison de l’absence d’une politique d’autopsie systématique pour les cas de décès à domicile. Alors que les morts violentes dans la rue sont systématiquement autopsiées, celles survenues au sein des familles le sont beaucoup moins, laissant place à des certificats médicaux souvent insuffisants et erronés. Il est essentiel que la société prenne conscience de ces lacunes et œuvre pour mettre en place des mesures plus rigoureuses. Une législation précise sur les indications d’autopsie, basée sur des critères objectifs, pourrait contribuer à garantir une justice plus équitable et à révéler la vérité derrière certains décès.”