Montpellier, Saint-Ravy : Janna Zhiri, "Mes dessins au pastel sont une porte sur la beauté de l’imaginaire"
Du 7 au 29 janvier 2023, à Montpellier, l'artiste Janna Zhiri présente ses immenses rouleaux travaillés au pastel à l'espace Saint-Ravy, à l'occasion de l'exposition "Manifeste sourire". Interview…
Portrait de Janna Zhiri © Chloé Pasciani, Ozgur Kilic, Noémie Sene et Andrea Hortua.
Quel a été votre parcours jusqu’ici ?
Janna Zhiri : “Née à Montpellier, j’ai 30 ans tout rond. J’ai fait mes études artistiques à la Villa Arson, à Nice, et vécu un peu à Marseille et Paris avant de revenir habiter à Montpellier en 2022. En parallèle, j’entame un cycle de recherches à Clermont-Ferrand une semaine par mois. J’expose régulièrement mes dessins, dont dernièrement à la foire d’art contemporain Artorama à Marseille.”
Qu’exposez-vous à l’Espace Saint-Ravy ?
Janna Zhiri : “Je présente mes rouleaux dessiné aux pastels sous forme d’installations. Les rouleaux déroulés jusqu’au sol représentent un monde imaginaire où le dessin dégouline un peu par terre, côtoyant des sculptures. Je propose un univers rempli de couleurs, un appel à l’imaginaire hyper coloré à travers des chimères”.
Une installation de Janna Zhiri © Janna Zhiri.
Comment définiriez-vous vos rouleaux ?
Janna Zhiri : “Ce sont comme des carnets de bord très longs, regorgeant d’images, qui ne se terminent pas, sur lesquels je dessine quasiment tous les jours. Quand je crée, je roule, donc quand je recommence à dessiner, le rouleau n’étant pas déplié, je ne sais plus ce que j’ai dessiné auparavant. Cela crée en quelque sorte un patchwork d’images“.
Ils sont peuplés de chimères…
Janna Zhiri : “Absolument ! On y voit des serpents dalmatiens, des langues feuilles vertes, des vaches roses, des visages qui sourient tout en étant crispés, des comètes œufs au plat, des demi-lunes visages, des visages avec des verrues… J’aime que le réel soit mélangé au poétique, j’opère des glissements, des interférences…”
Créez-vous de façon instinctive ou réfléchie ?
Janna Zhiri : “La création est pour moi une explosion pro-vitale, ça se passe entre moi et moi. Je dessine sans intention première, pour ne pas tuer la créativité. J’aime la digression, quand une image amène à une image qui amène à une autre image… Même si je pense les choses, mon trait est totalement spontané. Ce qui n’empêche pas que, parfois, je découvre des messages plus tard, lorsque je regarde mes dessins”.
Comment qualifieriez-vous vos écrits ?
Janna Zhiri : “J’aime que mes contes soient politisés. J’y pose mes intentions : promouvoir une révolution par le cœur, montrer comment on essaie de trouver des solutions, même absurdes, l’irruption de la fantaisie. Si mes dessins sont poétiques, mes écrits sont un peu plus politiques”.
Carnets de Janna Zhiri © Janna Zhiri.
Vous réalisez également des performances. De quel type ?
Janna Zhiri : “C’est une partie qui n’a rien à voir avec les dessins. Je réalise des performances tous les deux ou trois mois : je raconte des histoires que je n’ai pas couchées sur le papier. Généralement, j’en fais dans les espaces d’exposition, comme dernièrement à Paris au 59 Rivoli. Ce sont des petits contes assez humoristiques, remplis de digressions, au point que ça devient un peu n’importe quoi. J’y mêle des animaux, des choses fantasques ; j’incarne plusieurs personnages. Tout y est possible…”
Qu’est-ce qui vous inspire pour créer ?
Janna Zhiri : “La vie en général m’inspire, et rencontrer des gens… Je suis curieuse, j’aime écouter, bavarder avec d’autres artistes dont j’apprécie le travail, avec mes amis. Je m’inspire de mon quotidien, de ce qui se passe en société. C’est un tout”.
Pourquoi cette préoccupation pour ce qui a trait à la maladie ?
Janna Zhiri : “J’ai eu de gros problèmes de santé il y a dix ans, pendant cinq ans : une hémorragie cérébrale due à une malformation de naissance. Ça a bouleversé l’ordre de mes choses. Certaines opérations se sont mal passées, j’ai eu un parcours de santé long et compliqué. Et ma sœur a eu une tumeur cérébrale. De mes 21 à mes 26 ans, j’ai traversé des années assez lourdes.
Sentir un dysfonctionnement en moi et me savoir mortelle a changé mon regard sur la vie. A partir de là, j’ai dédramatisé tout le reste. La vie est précieuse, il faut savoir se contenter de peu. Tout tient à un fil, tout peut changer brutalement. Ces problèmes de santé ont complètement transformé ma vie”.
Et cette référence aux songes, d’où vous vient-elle ?
Janna Zhiri : “Elle est née de cette maladie, je pense, même si elle était déjà présente. Rester de longues heures alitée dans le service réanimation m’a poussée à développer un espace imaginaire. Mon énergie vitale était très réduite, je ne parvenais à faire que de toutes petites choses. Quand j’ai retrouvé mes forces, j’ai eu envie de faire de grands rouleaux pleins de couleurs, dans un élan très pro-vital. Mes dessins au pastel sont une porte sur la beauté de l’imaginaire. On peut s’y laisser aller sans jugement. Pour moi, l’évasion de l’esprit est une nécessité.”
Vos œuvres sont-elles plutôt joyeuses ou sombres ?
Janna Zhiri : “Je les trouve joyeuses, mais je ne peux pas nier qu’elles explorent les peurs. Ma mère trouve les visages clownesques grinçants. Mes dessins sont une balade entre la peur et la joie”.
Janna Zhiri, Hommage aux Exagéré.es © Janna Zhiri
Que disent vos créations de la société actuelle ?
Janna Zhiri : “Mes rouleaux de 10 mètres de long sont des appels à l’imaginaire. Dans cette société ultra-productive, ils sont sans valeur marchande. Qui les achèterait ? Ils sont compliqués à installer, il faut beaucoup d’espace… Je suis pour l’inutilité de certaines choses, pour l‘ennui et la paresse, qui font fructifier le cerveau et créent des interstices. Mes rouleaux sont en quelque sorte mon manifeste antiproductivité.”
Qu’est-ce que l’art pour vous aujourd’hui ?
Janna Zhiri : “L’art est mon moyen d’expression, une nécessité dans le monde actuel comme dans le monde ancien. Je crois que l’art est accessible à tout le monde : même un dessin d’enfant est de l’art pour moi. L’art réside en chacun de nous… Né de la créativité, c’est un moyen de créer de la poésie et de résister à la productivité et à l’utilité permanente dans le sens marchand du terme“.
Quels sont vos projets ?
Janna Zhiri : “Je vais exposer à Paris à Pauline Perplexe en mars 2023, puis du 5 au 23 avril 2023 à La Villette, dans le cadre de l’exposition 100 % Villette. Et j’effectuerai une résidence à la Villa Arson, à Nice, en octobre 2023.
Informations pratiques
Espace Saint-Ravy – 2, rue Cauzit – Montpellier.
L’exposition Manifeste sourire est visible du mardi au dimanche de 13h à 19h, jusqu’au 29 janvier 2023. Entrée libre et gratuite. Lieu accessible aux personnes handicapées.