Sciences — Montpellier

Montpellier : Sébastien Bougant, 20 000 lieues sous les océans

Avec Deep Ocean Search (DOS), le Montpelliérain écume les mers du globe à la recherche des trésors qu'elles renferment ou d'abysses à explorer. Deux faits d'arme récent à mettre au crédit de cette société : la plongée record à 10 806 m dans la fosse des Tonga, le 12 octobre dernier, et la découverte de la mythique épave de "L'Endurance", en mars 2022, dont l'expédition fait l'objet d'un documentaire qui sortira sur Disney+ à la fin de l'année. A vos masques, prêts, plongez !

Ne lui dites pas que c’est un chasseur d’épaves, surtout pas. Eux, ce sont des bandits sans foi ni loi motivés par le seul appât du gain, lui est un spécialiste des profondeurs océaniques, un sondeur des abysses. À la recherche des trésors qu’ils renferment, certes, mais pas seulement. Avec la société Deep Ocean Search (DOS), pour laquelle il travaille depuis 2007, le Montpelliérain Sébastien Bougant écume les mers du globe diligenté par de riches mécènes, des États ou des entreprises privées, pour localiser des bateaux engloutis, des avions crashés, des filons pétrolifères ou récolter des données scientifiques. Après avoir embarqué sur les navires pendant plusieurs années, Sébastien Bougant est aujourd’hui ce qu’on appelle un “onshore manager”. “Je gère tous les projets à terre, de leur conception jusqu’à la mise en route, explique-t-il depuis son bureau dans le village de Combaillaux, près de Montpellier. Que ce soit la technique, le staff, la logistique… Il faut que tout arrive en temps et en heure au point de départ de l’expédition.”

Bateaux coulés en 39-45 et boîtes noires englouties

Sa société est ainsi engagée pour son expertise des fonds marins et appelée pour remonter à la surface des richesses englouties comme celles, composées de cuivre, d’argent ou d’autres métaux non ferreux, se trouvant dans les cales de bateaux anglais coulés dans l’océan Atlantique pendant la Seconde Guerre mondiale, ou dans celles de navires plus anciens. “Nous sommes aussi appelés, par exemple, pour retrouver les boîtes noires des avions ou pour participer aux recherches.”

Le personnel du DOS a ainsi participé à la recherche et à la récupération d’un certain nombre d’avions commerciaux, dont un A320 d’EgyptAir (vol MS804) perdu à 3 000 m au large de l’Égypte en 2016, l’A330 d’Air France (vol AF447) perdu au milieu de l’Atlantique en 2009 et retrouvé en 2011 ou encore le fameux MH370 de la Malaysia Airline, toujours pas localisé.

Plongée record à 10 806 m de profondeur

Deux hauts faits d’armes sont récemment venus s’ajouter au tableau de chasse déjà bien garni de cette société basée à l’île Maurice : la localisation de L’Endurance, bateau mythique du début du 20e siècle en mars 2022 – dont le film documentaire retraçant l’épopée de l’expédition sortira sur la plateforme sur Disney+ le 29 décembre prochain – et la plongée à 10 806 m de l’océanaute Jérémie Morizet, ingénieur projet du Deep Ocean Search, le 12 octobre dernier dans le point le plus bas de la fosse des Tonga, dans l’océan Pacifique, connu sous le nom Abysse Horizon ou Horizon Deep. “On a bossé tous les deux sur ce projet-là, explique le Montpelliérain. Lui, il s’occupait de l’aspect purement technique et moi, je gérais tout l’aspect, équipement, contact avec les fournisseurs.”

Avec cet exploit, Jérémie Morizet est devenu l’océanaute français à avoir plongé le plus profond de l’histoire. “On a positionné le sous-marin en temps réel avec ce qu’on appelle une USBL [système de GPS sous-marin], des liaisons acoustiques. Cela n’avait jamais été fait à une telle profondeur”, se félicite le Montpelliérain. Une manière de savoir en permanence où se situe le sous-marin et son équipage, une prérogative devenue primordiale depuis le tragique accident du Titan, qui défraya la chronique en juin 2023.

Découverte historique d’une épave mythique, “L’Endurance”

Un projet à haute valeur médiatique pour Deep Ocean Search, sans nul doute décroché grâce à son rôle prépondérant dans la découverte de L’Endurance et son écho dans les médias du monde entier. En effet, en mars 2022, Jérémie Morizet et Sébastien Bougant appartenaient à la petite équipe de chercheurs qui découvrait cette épave mythique située à 3 000 mètres de profondeur et réputée comme étant l’une des plus difficiles d’accès au monde. Le navire, de 44 mètres de long, avait coulé en novembre 1915 dans la mer de Weddell, au nord de l’Antarctique, au cours d’une expédition menée de main de maître par le britannique Ernest Shackelton, entré, depuis, dans la légende des explorateurs(1).

La poupe de
La poupe de “L’Endurance” avec le nom et l’étoile polaire emblématique © Falklands Maritime Heritage Trust.

C’est de loin la plus belle épave de bois que j’ai jamais vue. Elle se tient droite, très fière sur le fond marin, intacte, dans un fantastique état de préservation/ […] On peut même lire son nom Endurance inscrit en arc de cercle sur la poupe“, s’est réjoui dans un communiqué, Mensun Bound, le directeur de l’expédition d’exploration pilotée par le Falklands Maritime Heritage Trust et organisée par DOS, lors de la découverte de l’épave et la diffusion des premières images.

“Nous avons préparé la mission pendant deux ans”

“Nous avons préparé la mission pendant deux ans avec une équipe du Deep Ocean Search et quelques transfuges britanniques et un américain. On a tout fait, de la création de la solution technique jusqu’à la préparation du projet, la mobilisation du bateau au Cap, en Afrique du Sud, et l’équipe offshore”, souligne Sébastien Bougant. Une colossale opération estimée à plusieurs millions de dollars. “Il y avait une centaine de personnes sur le bateau, hors équipage. […] J’ai passé des heures et des nuits entières à gérer ça. […]. Il a fallu qu’on se prépare à la possibilité que le bateau, le brise-glace, ne puisse pas arriver sur la zone de recherche. On a dû mettre en place des solutions pour héliporter du matériel, faire des camps sur la glace en autonomie complète avec des groupes électrogènes, des tarières, etc. Il fallait qu’on puisse faire un trou dans la glace pour faire glisser le ROV, le robot sous-marin, pour qu’il puisse aller faire de la cartographie pour trouver l’épave. Il a fallu tout amener en Afrique du Sud et tout assembler là-bas. Au final, on ne s’en est pas servi une seule fois parce que le bateau a réussi à aller dessus. Mais il fallait qu’on puisse répondre à toutes les possibilités”, poursuit-il.

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Le “S.A. Agulhas II” perce la glace alors qu’il voyage pour trouver “L’Endurance” en 2022 © Falklands Maritime Heritage Trust/Nick Birtwistle.

L’épave, qui repose toujours à 3 000 m de fond, est très bien conservée, car elle se trouve sur un plateau où il y a peu de sédiments, des courants marins, de la pénombre et du froid qui la protègent des vers se nourrissant de bois. La barre du navire est restée intacte, des équipements sont restés empilés contre la rambarde comme si l’équipage venait de quitter le bateau. Un mât est brisé, mais la charpente, bien qu’endommagée, est encore debout. L’épave est protégée en tant que site historique et rien n’a été ramené à la surface.

Des photographies de mer montrent une botte sur les restes du navire qui se trouvent au fond. Cette botte était autrefois portée par Frank Wild, le deuxième de Shackleton © Falklands Maritime Heritage Trust.
Des photographies de mer montrent une botte sur les restes du navire qui se trouvent au fond. Cette botte était autrefois portée par Frank Wild, le deuxième de Shackleton © Falklands Maritime Heritage Trust.

“L’important, c’est de savoir où elle est, de voir dans quel état elle se trouve et le modèle 3D qui en est sorti, indique Sébastien Bougant. Son collègue, grâce au “25 000 photos” qui ont été prises, a pu réaliser une modélisation époustouflante du navire : 

“L’équipe a également pu observer la vie autour de l’épave, sur le fond. Des mesures par 3 000 de fonds en Antarctique, ça n’avait jamais été fait. Il y avait une cinquantaine de scientifiques rattachés au Alfred Wagner Institute à bord du bateau pour faire des études sur les cristaux de glace, le réchauffement climatique, les courants, etc.”, précise-t-il.

Un film retraçant cette expédition historique, réalisé par Disney et National Géographic, vient d’être projeté en avant-première à Londres, le 12 octobre également (le même jour que la plongée du sous-marin dans la fosse des Tonga). Il sortira sur la plateforme Disney plus le 29 décembre prochain. Extrait : 

Sébastien Bougant, lui, continue de mener les projets du Deep Ocean Search à bien depuis le rivage. Et, s’il n’embarque plus sur les bateaux pour diriger les recherches depuis leurs ponts pour des raisons personnelles, il garde un souvenir ému des expéditions les plus marquantes de sa carrière.

Le fabuleux trésor du “City of Cairo”

Comme celle menée dans les profondeurs de l’océan Atlantique sud, entre l’île de Sainte-Hélène et les côtes namibiennes, pour extraire des cales du “City of Cairo” un fabuleux trésor. Ce navire marchand, torpillé par un sous-marin allemand durant la Seconde Guerre mondiale, avait sombré avec 104 personnes à son bord et 7 422 tonnes de marchandises… “On a ramené 100 tonnes d’argent, se réjouit encore aujourd’hui Sébastien Bougant. Elles étaient dans des caisses en bois”, dit-il. 2 182 coffres pour être précis, pour un butin évalué à près de 50 millions de dollars, soit presque 47 millions d’euros…

Les pièces d'argent du
Les pièces d’argent du “City of Cairo” © Deep Ocean Search.

Un trésor remonté à la surface grâce un travail aussi long qu’acharné. Le fondateur de la Deep Ocean Search (DOS), l’ancien scaphandrier de la Comex John Kingsford, a en effet commencé le travail d’archives en 1984. Il a compilé toutes les données possibles, du cahier de quart du naufragé aux témoignages des survivants en passant par les données météorologiques, afin de définir une zone géographique de présence probable de l’épave. “C’est la plus profonde au monde, elle se trouve à 5296m. On a un record Guinnes, précise M. Bougant. On l’a trouvée en tractant un sonar derrière nous et, ensuite, avec le ROV et de puissants bras manipulateurs, nous avons remonté toutes les pièces au fur et à mesure”, confie Sébastien Bougant, encore émerveillé par cette découverte. Et attendant la prochaine.

Cyril Durand

  1. Sir Ernest Shackelton est entré dans la légende des expéditions polaires grâce à l’épopée qu’il a entreprise avec ses 27 compagnons, à pied et en canot, après le naufrage de son navire, L’Endurance, dans les mers de l’Antarctique en 1915. Pendant des mois, l’équipage a survécu sur la banquise puis sur une île. Ils seront sauvés grâce à l’audacieux périple de Shackleton, parti dans un canot avec quelques compagnons chercher des secours.
L'épave du
L’épave du “City of Cairo” reposant à plus de 5000 m de fond dans l’océan Atlantique © Deep Ocean Search.
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