Montpellier : "Un logiciel à la frontière entre l'environnement et la santé"
Le Docteur Grégoire Mercier, chercheur au CHU de Montpellier en santé publique, lance sur le marché un logiciel médical novateur avec sa start-up KanopyMed : Air-Map. Un outil précieux à destination des collectivités territoriales permettant de mesurer l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé.
L’idée est partie d’un constat chirurgical. Après avoir ausculté les collectivités territoriales, le docteur Grégoire Mercier, chercheur en santé publique au CHU de Montpellier, a remarqué une absence : celle d’un outil efficace pour intégrer l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé dans l’élaboration et le suivi des politiques publiques. Une carence préjudiciable, semble-t-il, dans une époque où la qualité de l’air est à la fois un enjeu de santé publique majeur et un argument électoraliste de poids, au national comme – voire surtout – à l’échelle locale. “Le besoin que nous avons perçu dans la construction et l’évaluation des politiques publiques, par exemple sur la mobilité, les transports et même sur l’urbanisme dans une certaine mesure, les collectivités locales n’ont, aujourd’hui, aucun outil. Il y a beaucoup de données de pollution atmosphérique, mais pas de vision à l’échelle d’un territoire en termes de santé. Nous, nous sommes à la frontière entre l’environnement et la santé”, résume le docteur Grégoire Mercier.
Avec son associé, Ulysse Rodts, ils se sont lancés dans le développement d’un logiciel propre à combler efficacement ce vide avec leur start-up KanopyMed, qui développe des outils d’intelligence artificielle pour la médecine personnalisée et la santé publique de précision depuis 2018. Incubée par le BIC montpelliérain, la jeune pousse de la tech a bénéficié de la dynamique de la Med Vallée et de l’appui du CHU et de la Métropole de Montpellier pour cofinancer les 75 000 € nécessaires au développement de leur prototype en 2021. Un essai transformé seulement deux ans après puisqu’ils viennent de mettre sur le marché la première version opérationnelle de leur logiciel Air-Map, visant à mesurer, donc, l’impact de la pollution atmosphérique sur la santé pour permettre aux collectivités locales d’adapter leurs politiques en conséquence. Une pollution qui “se traduit en surmortalité et en risques accrus d’hospitalisation”. “Et il y a de plus en plus de politiques publiques censées répondre à ce problème de pollution atmosphérique”, souligne le Dr. Mercier. Et pour cause : elle serait responsable de “40 000 à 70 000 décès par an” en France métropolitaine.
“Il y a plus d’AVC pendant les pics de pollution”
Une pollution aux conséquences funestes qui peut se mesurer selon une double temporalité. D’abord à court terme, lorsqu’il y a des pics de pollution pouvant causer des aggravations chez les personnes atteintes de maladies chroniques, “typiquement les maladies respiratoires comme l’asthme ou les insuffisances cardiaques”. “Il peut y avoir également une augmentation du nombre d’hospitalisations et de décès. Il y a, par exemple, plus d’AVC pendant ces phénomènes-là”, analyse Grégoire Mercier. Puis les effets sur le long terme, ceux qui intéressent particulièrement l’équipe de KanopyMed qui, à travers Air-Map, “estime le nombre de décès sur l’année, à la fois ceux liés aux pics mais aussi ceux liés à une partie d’un cancer pulmonaire ou le déclenchement de nouvelles maladies”.
Pour établir ces liens de causalité, “il faut être capable d’avoir les bonnes estimations du lien entre la pollution et la mortalité, souligne le médecin. Ça, c’est le travail de chercheur.” La tâche est pointue et repose sur un travail de fond en lien avec l’OMS. La mortalité étant multifactorielle, pas simple d’isoler les facteurs en lien direct avec la pollution sur une population donnée. ”L’OMS fait des estimations de la fraction de la mortalité liée à la pollution atmosphérique et c’est à partir de ça que l’on peut calculer à l’échelle nationale ou locale. A partir des données de pollution atmosphérique, démographiques et sur certaines causes de mortalité auxquelles nous avons accès, on est capable de calculer ces estimations de surmortalité et de risques d’hospitalisation”, explique le médecin-chercheur.
“Entre 400 et 700 décès par an dans la métropole de Montpellier”
Les deux co-fondateurs de KanopyMed sont ainsi en capacité de définir sur les trois principaux polluants de l’air – à savoir les particules fines, l’ozone et le dioxyde d’azote – celui le plus présent dans l’atmosphère du Clapas, le territoire à partir duquel ils ont développé leur prototype. Sans surprise, ce sont les particules fines, émanant principalement du trafic routier, qui détériorent la qualité de l’air dans cette zone peu industrialisée. Ils estiment ainsi que la pollution atmosphérique dans l’agglomération montpelliéraine est responsable de “400 à 700 décès par an”. Un élément clé pour mettre en place et communiquer sur des politiques publiques pas toujours bien comprises par le public visant à réduire leurs émissions, du type ZFE (Zone à faibles émissions) ou plans de mobilité… La Métropole Montpellier Méditerranée, bien qu’ayant cofinancé le prototype, ne s’est cependant pas, pour le moment, positionnée pour acheter la version opérationnelle du logiciel.
“C’est un outil d’aide à la décision, un logiciel accessible sur internet. Un outil cartographique dans lequel les collectivités peuvent choisir le ou les polluants qui les intéressent dans une aire géographique pour obtenir une série d’indicateurs sur la tendance temporelle, les quartiers les plus touchés. Ils peuvent aussi comparer leur situation à d’autres métropoles ou départements”. Car les conseils départementaux “s’intéressent de plus en plus au côté médico-social, à l’accès aux soins primaires et à la santé en général avec une prégnance de la vision “population à risques” des crèches jusqu’au Ehpad”, constate Grégoire Mercier.
“Les populations les plus défavorisées sont les plus exposées”
En effet, l’une des conséquences induites par le scanne cartographique d’Air-Map est la mise en exergue des inégalités géographiques et sociales révélées par un jeu de superpositions des données. “Ce n’est pas quelque chose de directement inclus dans l’outil mais pour les personnes qui connaissent le territoire – et c’est le cas de ceux qui l’utilisent -, ils peuvent avoir cette lecture des inégalités.” Car “en moyenne, on constate que les populations les plus exposées sont aussi les plus défavorisées”, souligne le chercheur.
Air-Map permet, en effet, une segmentation au scalpel d’un territoire donné selon le plus petit niveau de découpage de l’Insee, l’Iris, “sur lequel nous avons des données démographiques mais aussi sociales et socio-économiques, toutes les données du recensement en somme (revenus, taux de pauvreté, logement…). On a ainsi regardé les dix quartiers les plus impactés avec les caractéristiques sociales et économiques de la population. Cela permet d’identifier les quartiers les plus impactés en termes de santé.”
Multiplier les leviers d’action pollution/santé publique
Une perspective de recherche intéressante pour l’équipe de KanopyMed qui planche déjà sur une future version d’Air-Map dans laquelle “on va inclure des données sur l’état de santé de la population. Je pense que les collectivités raisonnent en termes de vulnérabilité : il y a des zones géographiques dans lesquelles la pollution est importante et en plus l’état de santé de la population est mauvais. C’est un argument supplémentaire pour agir dans ces quartiers ou ces communes, si l’on prend l’échelle des départements.”
“On est en train de définir des maladies chroniques – respiratoires, cardiaques et même neurologiques – en lien avec la pollution pour une deuxième version avec une vision qui va au-delà des données purement démographiques pour voir si l’état de santé de la population est dégradé. Cela permettra des leviers différents. Les leviers pour la pollution atmosphérique, se sont les sources : transports, industrie, agriculture et chauffage urbain, dans une moindre mesure. Mais si les collectivités ont, en plus, une vision de l’état de santé de la population, d’autres leviers d’action en termes sanitaires sont actionnables. On peut imaginer que ces quartiers deviendront prioritaires pour l’implantation de nouveaux médecins, etc.”
Le bruit et la chaleur, deux sujets d’avenir pour Air-Map
La start-up d’intelligence artificielle souhaite également décliner l’outil sur d’autres risques, notamment le bruit et les vagues de chaleur, sujet ô combien préoccupant faisant rapidement tomber ceux qui s’y intéressent de près dans une éco-anxiété paranoïaque aiguë. “On sait qu’il va y en avoir de plus en plus, ce qui n’est pas le cas de la pollution atmosphérique : depuis le début des années 2000, en France, en moyenne, l’exposition à la pollution atmosphérique baisse de façon modérée. On reste très souvent au-dessus des seuils d’alerte de l’OMS mais la tendance est à l’amélioration. Les vagues de chaleur, c’est une autre histoire”, s’inquiète le Dr. Mercier.
Un phénomène d’autant plus préoccupant qu’il ne fera, à l’instar de la pollution, qu’exacerber les inégalités spatiales et sociales. Isolation performantes des logements, végétations, absence de béton, climatisation… Autant de facteurs précieux pour lutter contre les épisodes caniculaires en milieu urbain faisant défaut dans les quartiers les plus défavorisés des métropoles… Un nouveau champ d’étude aussi vaste que les inquiétudes qu’il suggère pour Air-Map.
Bonne innovation qui va dans le bon sens pour affiner la compréhension de l’impact de la pollution atmosphérique sur notre santé. Ensemble nous sommes plus fort. Concentrons nos efforts pour le bien commun qu’il nous faut impérativement préserver, notre santé. Je suis convaincu que des solutions existent et que nous pouvons les explorer.
Cordialement,
Anne PHILIP.
Professeur de Physique Chimie.