Journal du zoo de Lunaret (1/4) : naissance de rhinocéros blanc, “on avait 16 mois pour s’organiser”
Vague de naissances remarquables au parc zoologique du Lunaret à Montpellier. Le responsable du Service animalier, Baptiste Chenet, revient sur les préparatifs de ces naissances lourdes de conséquences…
Dévouées à la conservation in situ des espèces menacées, et engagées dans plusieurs programmes de reproduction, les équipes du zoo ont récemment célébré la naissance de trois jeunes animaux en l’espace d’un mois, dont un rhinocéros blanc mâle né le samedi 20 juillet.
Comment se prépare-t-on à la naissance d’un rhinocéros blanc ?
Baptiste Chenet : Un accouplement de rhinocéros, c’est quelque chose qu’on peut observer donc rapidement nous avons lancé un processus. La gestation étant de 16 mois, nous avions un calendrier précis pour nous organiser, repenser l’enclos et prévoir la naissance du petit. Déjà, en 2022, nous avions agrandi la surface utile de l’enclos, en aplanissant le terrain et en créant des zones d’ombrage afin d’améliorer leur bien-être. Cela a peut-être été un facteur pour l’accouplement. Mais rapidement, il a fallu prévoir des transformations particulières. C’est pour cela qu’en 2023, il y a eu des périodes où les rhinocéros n’étaient pas visibles dans l’enclos. Concrètement, nous avons créé une séparation de l’enclos avec des parois amovibles, permettant soit l’accès à tout le monde soit l’isolation d’une partie, ainsi qu’un enclos d’isolement pour la femelle et son petit. Nous avons fait la même chose dans le bâtiment.
De quelle manière gère-t-on la future mère ?
B.C : Une fois que tout a été techniquement mis en place, il a fallu préparer l’arrivée du petit en mettant la femelle dans les meilleures conditions. En général, nous les laissons seules pour qu’elles soient tranquilles et qu’il n’y ait pas d’interactions, car parfois les autres individus peuvent être agressifs envers un jeune, surtout s’ils ne savent pas ce que c’est… Résultat, il a fallu commencer à habituer les animaux à être séparés. Cela a nécessité des périodes d’adaptation, notamment pour la femelle, qui devait s’habituer à être seule. Ce processus a pris du temps et a impliqué un travail considérable, réalisé conjointement avec les équipes techniques du zoo qui ont aménagé l’enclos et les équipes animalières qui ont préparé la mise bas en prolongeant progressivement les périodes de séparation. À tel point que durant les dernières semaines de gestation, la mère était calme et à l’aise dans son enclos d’isolement, elle y trouvait même du confort.
Comment suit-on le bon déroulement de la grossesse ?
B.C : Pour suivre la gestation, nous n’avons pas pu faire d’échographies classiques, alors nous avons analysé la progestérone dans les selles. Nous prélevions des échantillons deux fois par semaine, ce qui nous a permis de confirmer la grossesse et de déterminer la période approximative de la mise-bas, avec une marge de plus ou moins deux semaines. Nous avons aussi beaucoup communiqué avec d’autres parcs zoologiques ayant plus d’expérience avec les rhinocéros, et consulté des documents scientifiques pour identifier les signes annonciateurs de la naissance (apparition et le gonflement des mamelles, évolution de la vulve…). C’était aussi un changement de pratique pour les animaliers, car chaque matin, la femelle passait en cage de contention pour inspection. Nous avons également suivi la progestérone en temps réel via ses selles, ce qui nous a permis de surveiller de près l’évolution de ses taux hormonaux. Vers la fin, nous faisions des prises de sang très régulières pour ajuster nos prévisions. Enfin, nous avons installé des caméras supplémentaires pour pouvoir la surveiller la nuit depuis chez nous.
Et puis le jour J est arrivé…
B.C : Oui, elle a mis bas en journée ! Ce jour-là, c’était moi qui étais de service. Je suis venu le matin, car il y avait des signes évidents. La vulve commençait vraiment à gonfler, la mamelle devenait très grosse et du lait s’écoulait. On sentait que la naissance était très proche, et nous arrivions à la date théorique du terme. On avait misé sur la pleine lune, car elle peut parfois influencer les mises-bas mais il était en avance sur nos estimations.
Je suis venu le samedi 20 juillet, le matin, pour faire un dosage de progestérone par prise de sang. Quand je l’ai vu, j’étais convaincu que c’était imminent. On a un peu changé le protocole ce jour-là. Habituellement, on la laissait en extérieur, mais cette fois, on l’a fait sortir rapidement pour nettoyer le bâtiment et lui redonner accès. La soigneuse qui l’a vue rentrer s’est absentée une demi-heure, et à son retour, le petit était déjà là. La mise-bas a été extrêmement rapide, ce qui est une chance, car elles peuvent parfois être très longues et stressantes, surtout avec un rhinocéros, où l’intervention humaine est très limitée. Nous avons eu la chance que le bébé sorte facilement, malgré ses 40 kg !
D’ailleurs, c’est le premier petit viable à Montpellier mais pas le premier né…
B.C : Effectivement, c’est notre premier petit viable. Nous avions déjà eu un précédent, mais il n’a pas survécu. La gestation s’était déroulée sans signes avant-coureurs et cela avait été une surprise. Malheureusement, la femelle n’était pas préparée. Comme je le dis souvent : si les humains n’avaient pas de sages-femmes, il y aurait beaucoup plus de mortalité infantile. Les contractions peuvent être terrifiantes, et sans préparation, la première mise-bas peut être très dangereuse pour de nombreuses espèces. Dans notre cas, il y avait aussi le stress du partage de l’enclos avec une autre femelle, qui pouvait être agressive. Nous ne savons pas exactement quelle part de responsabilité revient à chacune, mais cela importait peu à ce moment-là. Nous avions dû intervenir en urgence, mais malheureusement, il est décédé dans les 48 heures…
On peut dire que l’histoire du rhinocéros au Lunaret est complexe…
B.C : L’histoire des rhinocéros à Montpellier est assez longue et complexe. Depuis les années 2000, lorsque le bâtiment a été créé, nous avons reçu des femelles d’Afrique du Sud et un mâle. Malgré plusieurs tentatives, y compris des inséminations artificielles, il n’y a jamais eu de reproduction réussie. À un moment, nous avons échangé une femelle avec le Zooparc de Beauval, et peu après, cette femelle est tombée gestante là-bas. Ça nous a fait réfléchir. Ensuite, nous avons incriminé le mâle et l’avons envoyé dans un autre parc en Belgique, où il a eu des petits… A un moment, nous nous sommes vraiment demandé si nous avions sous une sorte de malédiction (rires).
Et puis vous avez accueilli Troy et Nola, les deux jeunes parents ?
B.C : Notre mâle qui est parti en Belgique a été remplacé par Troy, qui est arrivé en 2017. Nola est arrivée en 2018, avec l’objectif de reproduction. La première gestation nous a surpris car nous n’avions pas détecté de signes annonciateurs. Cela explique pourquoi nous n’étions pas bien préparés pour cette première naissance. Face à cette surprise, nous avons mis en place tous les moyens nécessaires dès que nous avons vu l’accouplement entre Troy et Nola. Nous avons investi dans les moyens techniques et financiers pour être prêts. Malgré toute cette préparation, il y a toujours une part d’incertitude. Comme je le dis souvent, avec les rhinocéros, nous ne pouvons pas intervenir directement pendant la mise-bas. Nous pouvons seulement mettre les animaux dans les meilleures conditions possibles.
Comment est-ce que le petit mâle va-t-il être habitué à la présence humaine ?
B.C : Nous privilégions l’élevage parental au maximum et évitons d’intervenir directement. Le contact avec l’humain n’est pas notre priorité immédiate. Il sera progressivement habitué à la cage de contention et au contact humain. Ce processus se fera lentement, en observant sa mère, qui est déjà habituée à ce type de contact. Nous utiliserons des techniques de désensibilisation et d’entraînement médical, en récompensant les comportements calmes avec des friandises comme du granulé ou de la luzerne, qui sont très appréciés des rhinocéros. Le petit apprendra donc rapidement les bonnes habitudes en suivant l’exemple de sa mère et en recevant des récompenses.
Combien de temps le petit rhinocéros blanc va-t-il rester à Montpellier ?
B.C : La gestion des rhinocéros s’inscrit dans un programme de conservation européen, coordonné par l’Association européenne des zoos et aquariums (EAZA). Un coordinateur basé aux Pays-Bas tient à jour le Studbook, qui est un registre généalogique détaillant l’origine des animaux, les naissances et les décès. Grâce à ces informations, il peut réaliser des analyses génétiques et recommander des transferts d’animaux ou des associations pour optimiser la diversité génétique au sein du programme.
Les transferts dépendent aussi des places disponibles dans les parcs. Les rhinocéros étant de grands animaux, ils ne se déplacent pas aussi facilement que d’autres, comme les petits mammifères. De plus, il est plus compliqué pour les zoos de créer ou d’élargir des enclos pour les rhinocéros. En général, les jeunes rhinocéros ne sont transférés qu’après l’âge de 2 ans, lorsque les conditions sont plus favorables.
Est-ce qu’on peut espérer d’autres petits de la même femelle ?
B.C : Les rhinocéros ont une durée de vie qui dépasse souvent les 40 ans, avec certains individus atteignant jusqu’à 50 ans. À 8 ans, Nola est encore jeune et en pleine forme. Il est en effet préférable que les rhinocéros se reproduisent lorsqu’ils sont jeunes. Un utérus musclé est crucial pour des mises bas réussies, car les contractions lors de l’accouchement sont très puissantes. Les femelles qui se reproduisent tardivement risquent des complications, comme des déchirures utérines, qui ont été observées chez des éléphants et des rhinocéros âgés.
Le fait que Nola ait eu son premier petit à un jeune âge est donc positif, car cela permet de renforcer son utérus pour de futures gestations. Il est possible que cette première naissance soit suivie d’autres naissances, mais cela dépendra de notre capacité à gérer l’espace disponible. Nous espérons pouvoir accueillir d’autres rhinocéros à l’avenir, tout en garantissant qu’ils vivent dans des conditions optimales.