Occitanie : le Club de la presse a 40 ans, « mais c'est surtout important de penser aux quarante années qui arrivent, » confie Agnès Maurin
Il s’appelle Club de la presse et de la communication. Ce quadra partage sa vie entre Toulouse et Montpellier, il est né en 1984 et a donc soufflé ses 40 bougies en ce mois de juin à Frontignan la Peyrade. Des rotatives, au web, en passant par l’info en continu, et l’IA générative, la presse vit peut-être sa plus puissante des révolutions.
Pour Agnès Maurin, Directrice générale du Club de la presse et la communication d’Occitanie : « c’est à la fois important d’avoir quarante ans, mais c’est surtout important de penser aux quarante années qui arrivent. C’est ce que nous avons fait pour cet anniversaire avec l’organisation d’une table ronde sur les enjeux de l’IA dans les médias, la communication et les ICC. » Questionnements, débats, l’heure semble grave… Le profil des invités donne le ton, avec le philosophe Julien Gobin qui a publié « L’individu, fin de parcours ? Le piège de l’intelligence artificielle, » ou Marius Bertolucci auteur de « L’Homme diminué par l’IA, » et Jean-Marie Charon, sociologue des médias qui anime des conférences comme « les jeunes journalistes à l’heure du doute, l’enjeu démocratique. » Même l’avocate, Eloïse Patocki-Tomas, lance sans vraiment plaisanter : « en Californie, les lois visent à réglementer les vrais géants de la Tech, mais ils estiment que c’est absolument absurde de vouloir les réguler puisqu’ils vont faire le bien du monde. »
S’interroger pour agir au plus juste, « le club s’est professionnalisé en quarante ans et nous espérons qu’il va continuer à rendre service aux professionnels tout en gardant cette vision du futur et en restant une vigie de nos professions, » explique Agnès Maurin.
« Oui je t’écoute. As-tu besoin d’aide pour quelque chose en particulier ? » ChatGPT
« Il va falloir vraiment surveiller, » dit Olivier Roirand, rédacteur en chef adjoint chez viàOccitanie et Président du Club de la Presse. « Pour le moment, l’intervention humaine, y compris pour nous les journalistes et pour les communicants, est encore l’élément final pour valider un papier ou pour valider une création de contenu. Est-ce que ça va durer ? » Que deviendrait une société qui reposerait sur des outils d’IA sans jamais les contrôler ? Quid de la dépendance à une IA omniprésente ? Olivier Roirand en est conscient : « la régulation a ses limites, c’est un marché mondial, ce sont des outils internationaux. »
La dépendance aux écrans et aux réseaux sociaux est déjà une préoccupation majeure. L’accès constant à Internet a transformé notre façon de communiquer, de travailler et de nous divertir. Pour ne rien arranger, ce commerce est difficilement contrôlable. Alors que dire d’un compagnon qui parle, qui connaît déjà tout de l’actualité et qui peut répondre à toutes les questions ? C’est un super ami ? C’est nous qui le suivons ou c’est lui qui nous suit ? Posez-lui cette question : tu m’écoutes ? « Oui je t’écoute. As-tu besoin d’aide pour quelque chose en particulier ? » Il est déjà en nous, certes cantonné à un smartphone ou un ordinateur, mais il est déjà là, omniprésent. Du temps de cuisson pour des œufs durs aux dernières déclarations d’Emmanuel Macron, il cause, il répond. Il, dans ce test, c’est le robot conversationnel ChatGPT dopé à l’intelligence artificielle, le bébé de Sam Altman. Un bébé qui grandit très vite et qui explique : « oui, je peux désormais travailler à partir de l’actualité en temps réel. N’hésitez pas à me demander des informations spécifiques ou des mises à jour récentes sur des sujets d’actualité. »
2024, année zéro du journalisme
Pour l’heure, l’IA se nourrit d’une production humaine de contenus, voire d’une coproduction Homme-IA. Olivier Roirand veut être rassurant : « nous serons là pour toujours réaffirmer qu’il faut de la liberté de la presse, liberté d’informer aussi, et qu’il ne faut pas forcément que la machine informe sans une intervention humaine. »
Marius Bertolucci titre sa tribune dans Libération : 2024, année zéro du journalisme, ou quand Le Monde passe un deal avec OpenIA et devient algorithme. Déjà avec le SEO, la presse faisait la danse du ventre aux GAFAM, ces puissantes multinationales des technologies de l’information et de la communication comprendre Google, Apple, Facebook, Amazon, et Microsoft. SEO (Search Engine Optimization), c’est optimiser, modifier, être redondant pour plaire à un Bot, une application logicielle automatisée qui exécute des tâches répétitives sur un réseau. Le rédacteur est enchaîné aux mots-clés et à leurs synonymes, doit respecter les balises HTML (Hypertext Markup Language) comme un guide ou comme une camisole, au choix ? Smiley 🙂 comme dirait l’autre ! Brouhaha médiatique, novlangue à volonté, « 1984 » on y est ! Pas l’année, le roman où George Orwell a décrit l’anéantissement de la pensée. À force d’avoir montré son nombril à un Bot dans une envie absolue de visibilité pour rentabiliser sa production, la presse a pris le risque d’offrir un contenu dont la finalité est réduite à capter de l’attention. De là à dire que la presse n’est devenue qu’une influenceuse, il n’y a qu’un pas que nous ne franchirons pas. Enfin ! Pour le moment.
Entre trouver de la documentation dans une bibliothèque, effectuer une recherche sur le web et gober la réponse d’une IA, le cerveau humain s’assoupit doucement et risque de perdre confiance dans son propre raisonnement. Dans un futur proche, il faudra peut-être demander l’autorisation à un centre de contrôle pour prendre les commandes de son véhicule devenu autonome. La centrale d’informations vérifiera nos compétences pour piloter une voiture, notre état de santé, et si notre assureur est favorable à ce genre d’initiative. L’IA préviendra : « attention ! Avec votre manque de pratique, une sortie de route reste possible. » Idem, pourra-t-on raisonner sans l’IA ? L’esprit à d’autres exigences. La sortie de route est indispensable à la construction de sa pensée. Un jour, de la même façon que l’on pourra se dire « mais que c’est bon de conduire tout seul ! » On pourra crier : « mais que c’est bon de penser tout seul ! » Enfin ! Si cela reste autorisé.
Face au tsunami numérique à venir, le Club de la presse garde la tête sur les épaules. Pour Olivier Roirand : « après la période Covid, on a soutenu les plus fragiles d’entre nous et notamment les pigistes journalistes pendant cette crise. » Et aujourd’hui ? « La presse est toujours malmenée, dans l’incertitude, quand on voit que certains ont même l’intention de privatiser le service public de l’audiovisuel, ça peut inquiéter. » L’association compte environ 1 500 adhérents avec un ratio de 60% de communicants et 40% de journalistes.
Formations, ateliers spécialisés, partage des ressources, le Club organise des événements et des initiatives comme de grands débats et des conférences thématiques sur des enjeux toujours en lien avec l’actualité. Le Club s’engage aussi pour promouvoir l’égalité des genres dans les médias, pour renforcer les liens entre médias et quartiers populaires et pour développer l’esprit critique des jeunes. « Nous avons œuvré auprès de 8 500 jeunes en formation, ce n’est pas mal. »
Dans un paysage médiatique saturé, le sociologue Jean-Marie Charon a exprimé lors de cette journée anniversaire, que « s’il est encore possible de voir des réussites comme Mediapart ou Le Monde, c’est beaucoup plus compliqué d’imaginer aujourd’hui l’avenir de la presse régionale. »