Ouest Hérault : les trésors insoupçonnés du Canal du Midi
Le 7 décembre 1996, l'UNESCO a consacré un trésor français en inscrivant le Canal du Midi sur la liste des sites du patrimoine mondial. Cet ouvrage fantastique, dont le concept a des racines anciennes, est le fruit de la persévérance de Pierre-Paul Riquet (1609-1680), son architecte.
Un grain de folie biterrois
Créer et alimenter un canal de 240 km de long, large de 10 à 20 mètres et profond de 2 mètres, reliant l’océan Atlantique à la Méditerranée, avec les ressources techniques et topographiques du XVIIe siècle, cette idée audacieuse avait besoin d’un génie, ou d’un fou, pour voir le jour. Rêvé pendant des siècles, l’exploit monumental est finalement devenu réalité sous le règne de Louis XIV, qui, bien inspiré, fit appel à l’expertise d’un Biterrois sans limite, un entrepreneur des premières heures…
Sous l’impulsion du Roi Soleil et convaincu que ce pont entre les “deux Suds”, reliant la région tournée vers l’Atlantique à celle tournée vers la Méditerranée, serait une véritable révolution pour le commerce, l’architecte et ses hommes se mirent au travail. Ensemble, ils ont creusé et sculpté la terre, domptée et guidée l’eau, formant sur le territoire de l’Hérault un tracé plusieurs fois centenaire qui a encore de beaux jours devant lui. Mais si les vignobles, le calcaire et la garrigue ont facilement ouvert leurs sols à l’empreinte de l’ingénieur, certaines terres rebelles, par nature et culture, ont exigé que la folie de l’homme et sa ferme conviction que ce projet devait aboutir s’ajoutent à l’ambition du roi et de sa cour.
L’ambition rencontre la technique
De nos jours, cette terre fascinante conserve les traces de l’ingéniosité des hommes, qui, poussés par le désir de tracer ce trait d’union entre les deux mondes, ont fait appel à leur esprit le plus fin et à leurs plus grandes ambitions pour construire le renouveau du commerce. Se promener le long du Canal du Midi, c’est comme remonter le temps. Il continue de fasciner par ses exploits techniques qui résistent au passage du temps. Tout au long de son parcours, des ouvrages d’art se succèdent, offrant des solutions ingénieuses aux défis topographiques. Ce réseau d’infrastructures témoigne de l’ingéniosité technique alliée à une profonde compréhension de l’architecture et du paysage, une combinaison rare. De l’Héraultais tout craché…
Sur le tronçon du département, d’ouest en est, ces réalisations techniques exceptionnelles, emblématiques de l’époque et stars des cartes postales, semblent reposer dans la tranquillité d’une terre bercée par le clapotis de l’eau et les chants des grillons. Parmi les réalisations marquantes, le “Grand Bief” est une pièce maîtresse. S’étendant sur 54 kilomètres, il garde une altitude constante de 31,35 mètres au-dessus du niveau de la mer. Bien que moins spectaculaire que d’autres prouesses, cette réalisation de Pierre-Paul Riquet reste remarquable. Traversant des villages charmants comme Capestang, Poilhes et Colombiers, ce tronçon reflète l’ingéniosité visionnaire de son créateur.
Une terre natale au cœur de pierre
À quelques kilomètres du Grand Bief, le tunnel du Malpas, premier tunnel au monde pour un canal, symbolise la détermination de l’architecte. Face à une colline abrupte, comment contourner l’obstacle ? La ténacité mène à l’intervention de Colbert à Paris. Malgré les défis, une galerie d’essai est percée dans le grès friable de la colline en huit jours, sécurisée par une voûte en béton. Ainsi s’ouvre la voie de Béziers. Du moins, c’est ce qu’il pensait…
Toujours à Béziers, un second défi s’est imposé à Pierre-Paul Riquet : le franchissement d’un dénivelé de 21,50 mètres étendu sur 312 mètres. Un obstacle de taille qui a donné naissance aux écluses de Fonséranes, un chef d’œuvre devenu l’un des sites touristiques les plus visités du département de l’Hérault. À l’origine, elles comprenaient huit bassins et neuf portes successives, ainsi que deux bassins inférieurs. Ce complexe permettait aux navires de s’ajuster au niveau de la rivière Orb. Quelques bateaux de tourisme continuent de maintenir cette valse acrobatique.
Et parce que la terre natale de l’ingénieur n’a rien d’une tendre, un dernier obstacle s’est imposé aux hommes qui ont poursuivi son travail après sa mort : l’Orb. Afin d’éviter cet obstacle périlleux pour la navigation, entre 1854 et 1857, le Pont-Canal de Béziers a été construit. Une image qui continue d’impressionner les badauds et d’inspirer les architectes à oser plus et fort.
Cap sur la Méditerranée
À cœur vaillant, rien n’est impossible. Mais combien de fois Riquet et ses successeurs ont-t-ils eu envie d’abandonner ce chantier tortueux ? Après avoir creusé la terre, élevées les eaux, ils semblaient se rapprocher du but, mais c’était sans compter sur le Libron… Cours d’eau côtier, capricieux, celui-ci s’est mis en travers de la route alors que la mer était à portée de vue. Son intensité, crainte par les ingénieurs, était si forte que ses eaux furent canalisées en deux bras pendant la construction. Grâce à un système astucieux de vannes et de bâches amovibles, les eaux s’écoulent depuis alternativement d’un bras à l’autre, permettant aux bateaux de passer en toute sécurité.
En se rapprochant de la côte méditerranéenne, l’une des œuvres les plus emblématiques du canal du Midi, érigée quelques années avant la mort de son concepteur, est encore debout. Érigée en 1676 en basalte, l’écluse du Bassin-rond, aussi connue sous le nom d’écluse ronde d’Agde, est la première écluse de cette forme au monde. Elle est bien plus qu’un simple dispositif de levage, car depuis le XVIIe siècle elle sert de carrefour pour trois voies navigables. Par le biais d’un système ingénieux, les bateaux peuvent pivoter à l’intérieur du bassin et choisir leur route, que ce soit vers l’ouest (Béziers, Toulouse, la Garonne et l’Atlantique), vers le sud (l’Hérault, le port fluvial d’Agde et la Méditerranée) ou vers l’est (Marseillan, l’étang de Thau, Sète et la Méditerranée).
La conclusion de cette folle épopée se vit à l’extrémité orientale du Canal du Midi, à la Pointe des Onglous. À l’époque, ce trajet incluait la traversée de l’étang de Thau, une étape d’environ six heures, selon la météo, jusqu’à ce que des bateaux à vapeur se mettent à remorquer les péniches dès 1832, réduisant le temps de traverser à moins de deux heures. Couronné par une jetée et un phare, ce paysage aux doux airs de Camargue offre aujourd’hui un panorama saisissant sur l’étang, les parcs à huîtres, Marseillan et Sète.