Pérols, Muriel Fournier et Caroline Bouvier : "Les Nouvelles Grisettes" soutient la création made in Occitanie
Cette semaine, pour célébrer la Journée internationale des droits des femmes, la rédaction vous propose des portraits de femmes fortes, qui ont mis sur pied des projets importants ou au parcours exceptionnel. Premier rendez-vous aujourd'hui avec Caroline Bouvier et Muriel Fournier, cofondatrices des Nouvelles Grisettes avec Roger-Yannick Chartier et Richard Préau.
© Photo : Virginie Moreau
Quel a été votre parcours ?
Muriel Fournier : « Ingénieure, titulaire d’un master en management d’entreprise, ancienne salariée d’une entreprise de menuiserie, après mon licenciement économique, j’ai repris Espace Propreté, une entreprise de nettoyage de locaux professionnels, en octobre 2017. Cette PME avait à l’époque 28 salariés, et faisait un peu plus de 500 000 euros de chiffre d’affaires. Je suis alors entrée dans le milieu entreprenarial. J’ai découvert les réseaux professionnels, dans lesquels je suis très active : les Femmes Chefs d’Entreprise (FCE), la CPME et autres… Actuellement, il y a 32 salariés pour un chiffre d’affaires de 830 000 euros sur fin 2021. »
Caroline Bouvier : « Ancienne gymnaste internationale, juge internationale et entraîneur national de l’Equipe de France de gymnastique, pendant plus de vingt ans je me suis consacrée à la Fédération Française de Gymnastique. La couture était ma seconde passion. J’ai toujours fait mes justaucorps, puis ceux de mes copines, les tenues de l’équipe de Calais, celles de l’équipe de France, en relation avec des entreprises du Nord. En 1999, j’ai aussi réalisé une collection pour Décathlon, ce qui m’a poussée à créer ma propre entreprise. Et une collection pour Arena à l’occasion des JO de Sydney. En 2003, j’ai créé la SARL Lili’s (justaucorps pour la gym, le fitness, tenues pour le patinage artistique, la natation synchronisée), et j’ai quitté la fédération de gymnastique. Plus tard, j’ai monté ma Maison de couture.
Mais je regrettais que rien ne soit fait pour sauvegarder les savoir-faire du secteur de la couture. Avec la Chambre de métiers, j’ai monté des formations, des stages, organisé des événements. J’ai commencé à travailler, en plus de ma première d’atelier Chantal Olivet, avec des indépendants qui venaient pour des missions et compléter mon équipe de façon saisonnière, échanger des idées et des savoir-faire. Je voulais pousser les murs pour créer un atelier, mais cela m’était impossible. »
Comment est né le projet des Nouvelles Grisettes ?
Muriel Fournier : « La pandémie de Covid-19 a été décisive. Lors du premier confinement, en mars 2020, l’activité de mon entreprise, tournée vers le nettoyage de locaux professionnels, a été très ralentie, puisque tous les bureaux étaient fermés. Parmi mes clients se trouvaient des professions dites essentielles qui exerçaient dans des locaux qu’il fallait donc nettoyer. Nous devions envoyer nos salariés travailler sans masque. En tant que chefs d’entreprise, c’était un gros dilemme d’imposer ça aux équipes. Nous parlions de cette préoccupation sur le groupe WhatsApp des Femmes Chefs d’Entreprise.
Plusieurs FCE ont sollicité Caroline Bouvier, qui, faisant appel à son bon cœur, a réuni une cinquantaine de bénévoles pour faire des masques et géré la logistique. Des huissiers de justice, habilités à se déplacer malgré le confinement, lui déposaient du tissu, livraient les masques. Tout passait par le groupe WhatsApp de ces bénévoles, sans structure associative derrière. Caroline et moi nous côtoyions alors par les FCE, sans être proches ni bien nous connaître. J’ai identifié qu’il faudrait de l’argent pour produire ces masques. J’ai donc lancé une cagnotte le 21 ou le 22 mars 2020 via le compte Hello Asso des FCE, pensant récolter 500 euros maximum. Or nous avons récolté 18 000 euros en sortie de confinement ! »
Caroline Bouvier : « Début mai 2020, Stéphan Rossignol a proposé de nous prêter pendant trois mois un local de 160 m2 au siège de l’agglomération Pays de l’Or. Nous sommes finalement restés un an et trois mois, la pandémie se prolongeant. Un grand élan de générosité nous a permis de faire des centaines de masques. Nous disposions de 18 000 euros de cagnotte, moins 3 000 euros pour financer le tissu et les élastiques. »
Donc vous avez eu l’idée de vous unir et de créer Les Nouvelles Grisettes ?
Caroline Bouvier : « Avec les 15 000 euros restants de la cagnotte, nous avons voulu aider les couturières et couturiers – impactés par la crise et qui nous avaient aidés à faire les masques – à rebondir en montant un atelier de production. Il régnait une triste réalité sociale chez les couturiers et couturières. Ils avaient fait des masques gratuitement sans parvenir à boucler leurs fins de mois. Leurs structures étaient trop petites pour bénéficier des aides de l’État.
Muriel a pensé que si un atelier devait être monté, il faudrait plus de financements. Elle a contacté Roger-Yannick Chartier, qui nous a poussées à voir plus grand, à ouvrir un atelier de couture pérenne. Nous avons appelé le consultant Richard Préau, très branché sur le made in France, pour qu’il se joigne à l’aventure. Nous nous sommes tous réunis en visio fin avril 2020 pour élaborer le projet. »
“Les Nouvelles Grisettes est né au bon moment, à un moment où les gens ont compris la nécessité de payer un peu plus cher pour acheter du made in France, où ils ont pris conscience des valeurs de l’humain, de l’importance de ne pas perdre les savoir-faire français, voire occitans.”
Muriel Fournier : « Pour monter l’association Les Nouvelles Grisettes, nous avons sollicité notre réseau. Cherchant un local pérenne pour Les Nouvelles Grisettes, nous avons pensé à l’ancien magasin Bio & Sens, à Pérols, qui appartient à la Région. Nous avons rencontré Carole Delga et avons visité les lieux, d’une surface de 1 000 m². Il a fallu monter un business plan. Nous avons contacté Laurent Rodriguez, qui possède Mon Cuisinier, pour ajouter une partie restauration aux Nouvelles Grisettes et assurer une sécurité financière au projet. Cela ajoute de l’attractivité à notre site. Mon Cuisinier occupe la moitié du local et tous les repas des restaurants de l’enseigne sont produits ici. On a trouvé des financements supplémentaires auprès d’AG2R, d’Harmonie Mutuelle, de la Métropole, de la Région, la Banque Populaire, la BNP. Trois avocats bénévoles se sont occupés du bail, des contrats de travail, des statuts… Nous nous sommes installés en septembre 2021 dans le local de Pérols. »
Comment êtes-vous organisés ?
Muriel Fournier : « Actuellement, nous avons 14 salariés dont 10 alternants. Il y a un salarié en CDI sur chaque pôle : le commercial (le Grand Magasin), l’atelier, l’administratif, l’événementiel. Chaque responsable de pôle a carte blanche sur la gestion de son pôle. Nous, cofondateurs, ne prenons pas les décisions. Nous ne donnons notre avis que si on nous le demande. Par exemple, pour le Grand Magasin, Axel, le responsable, choisit les marques selon un cahier des charges défini par l’équipe, s’occupe de la décoration du lieu, crée des ambiances… Richard Préau chapeaute le Grand Magasin et l’administratif, Caroline Bouvier supervise l’atelier et l’événementiel, et Roger-Yannick Chartier et moi nous occupons des relations extérieures, du développement, du financement… »
Caroline Bouvier : « A l’atelier, les personnes qui produisent ne sont pas salariées de la structure ; les 14 salariés ne s’occupent que de la gestion du lieu. Ce sont des prestataires couture qui fabriquent nos produits afin de maintenir leurs revenus et de compenser une baisse de leur chiffre d’affaires. Ça leur permet de garder leur créativité, de conserver leur entreprise et de se former gratuitement. Les couturiers et couturières ont aussi la possibilité de louer des machines à l’heure pour leur production. Nous achetons des machines adaptées à la grosse production. Par exemple, nous avons une machine pour poser les boutons-pressions. Elle a coûté 3 000 euros. Un prix que ne peuvent pas mettre de petits créateurs et créatrices, car il faut en poser des boutons-pressions pour rentabiliser une telle machine ! Ils peuvent la louer à l’heure pour réaliser leur propre collection.
Le Grand Magasin fait office de vitrine, de lieu ressource, de dépôt-vente avec des corners mis à la disposition des créateurs moyennant un pourcentage sur les ventes. Il accorde de la visibilité sans fragiliser les marques. Il propose des produits d’une vingtaine de marques connues et reconnues comme Le Sac du berger, La Botte gardiane, mais aussi des petits créateurs qui fabriquent ici, comme Le Fil de Prospérine, Majeure…
Le pôle communication et événementiel des Nouvelles Grisettes accompagne les marques sur leur communication, organise des Cafés des Experts pour les mettre en relation avec des organismes de financement (comme Initiative), des banquiers, des avocats, des experts-comptables, fait des réunions sur la logique de marque, la stratégie de marque, le développement des produits, des collections… Nous prêtons nos locaux pour organiser des défilés de mode, organisons des marchés de créateurs, l’objectif étant d’attirer la clientèle sur place en lui présentant des produits locaux par thématiques. Les Nouvelles Grisettes a aussi un très beau partenariat avec Emmaüs et présente un corner Emmaüs. »
Les Nouvelles Grisettes a été labellisé Tiers-Lieu…
Muriel Fournier : « En plus de la labellisation Tiers-lieu, Les Nouvelles Grisettes vient d’être reconnu Manufacture de Territoire par l’État avec 19 autres tiers-lieux nationaux. Cela nous octroie trois ans d’accompagnement par des experts. A l’issue, Les Nouvelles Grisettes pourra aller chercher jusqu’à 500 000 euros de subvention. C’est un développement et une reconnaissance… Pour nous, les Nouvelles Grisettes est plus qu’un tiers-lieu. C’est un lieu concept qui rassemble l’atelier, le Grand Magasin et le pôle communication et événementiel. »
Caroline Bouvier : « J’invite les personnes qui travaillent dans la couture à se rendre aux Nouvelles Grisettes. C’est une chance qui est offerte à chacune et chacun. Les professionnels restent encore trop dans l’isolement. Nous organisons des afterworks, des ateliers, des événements autour de la laine, du jean, du cuir. Il y a matière à développer… Les Nouvelles Grisettes ne sont installées que depuis cinq mois. Nous sommes allés très vite. Maintenant, l’important est que Les Nouvelles Grisettes fasse partie de la vie des gens : que les professionnels viennent y gagner en compétences, et que les particuliers découvrent dans le Grand Magasin des marques made in Occitanie. »
“L’objectif est que les consommateurs aillent au Grand Magasin comme à Odysseum ou au Polygone. C’est un gros challenge”.
Quelles sont vos plus belles réalisations aux Nouvelles Grisettes ?
Caroline Bouvier : « Je suis fière d’avoir une équipe d’une dizaine de personnes en recherche et développement. C’est un regroupement de compétences liées à la mode et au textile. En règle générale, c’est un milieu difficile à rassembler car il y a beaucoup d’ego et de travail personnel. La notion de collaboratif et de bienveillance développée aux Nouvelles Grisettes a suscité l’engouement. On a regroupé une douzaine de personnes ayant de très beaux parcours, de plusieurs générations et de différents univers allant du modélisme au stylisme.
Nous accueillons dans nos locaux une styliste qui a travaillé chez Ubisoft pendant dix ans, une designer textile, une créatrice de mode qui s’est fait connaître au Japon, une ex-styliste d’une grande maison parisienne, un ex-directeur commercial de grande maison… De jour en jour, des gens viennent à nous car ils voient des vraies compétences et un grand potentiel, de la bienveillance et de l’ouverture, du partage. Personne n’écrase personne, nous sommes tous là pour nous apporter mutuellement des choses. Cela fait la force du groupe. »
Muriel Fournier : « Pour moi, la plus belle réalisation, c’est que nous ayons accueilli en stage une jeune femme des pays de l’Est au parcours de vie très compliqué, qui se trouvait dans une situation sociale très précaire. Elle a enchaîné sur un CAP de couture, et est aujourd’hui salariée chez l’une de nos créatrices. Elle s’est sortie de la rue avec notre soutien. C’est aussi notre rôle d’identifier des gens dans le besoin pour les aider. Cette belle réalisation, c’est l’essence de ce projet. En coopérant, en se tenant la main, on peut faire avancer certaines personnes et leur donner les valeurs du travail, leur apprendre à ne pas lâcher. »
Si vous ne parvenez pas à voir la vidéo, cliquez ici : https://www.youtube.com/watch?v=kxhUQpMSHQU
Quels sont vos projets pour les Nouvelles Grisettes ?
Caroline Bouvier : « Le gros projet à venir est la formation. Nous nous sommes rendu compte qu’il y a une grosse carence sur le jeans, qui est pourtant un produit local, puisqu’il vient de Nîmes. La réindustrialisation locale commence à se faire. Il y a à nouveau de la toile tissée à Nîmes depuis un an ou deux. Des entreprises comme Tuffery produisent 100 % de leurs jeans en Occitanie, à Florac en Lozère. Donc pour les formations, nous voudrions faire un tronc commun avec Tuffery et Nîmes pour former des gens opérationnels et multitâches. Il est important de permettre aux entreprises artisanales d’avoir une autonomie et de la polyvalence. Au-delà de cette formation orientée jeans, nous voulons faire de même autour de la maille et de matières que nous aborderons une à une, grâce à des partenariats avec des sociétés du territoire. Car actuellement, les jeunes sortis de CAP ou de bac pro ne sont pas opérationnels. C’est un vrai handicap pour les structures. Nous voulons être le chaînon manquant ».
Muriel Fournier : « Autre projet bien avancé, la marque propre Les Nouvelles Grisettes est en train d’être développée et fabriquée ici. Nous pensons l’élargir à des goodies fabriqués localement. L’idée est de faire rayonner le lieu à travers une marque. Nous avons aussi pour objectif d’exporter Les Nouvelles Grisettes à l’international pour faire connaître les marques que nous soutenons, afin que Les Nouvelles Grisettes soit le fer de lance des marques locales à l’export. »
Propos recueillis par Virginie MOREAU
La créatrice de mode argentine Silvina Astudillo présentera sa collection 2022, “Alma Azul”, aux Nouvelles Grisettes, lors d’un défilé de mode organisé le 8 mars à 20h00, en l’honneur de la Journée internationale des droits des femmes (accueil à 19h00).
Informations pratiques
Les Nouvelles Grisettes – 3840, avenue Georges-Frêche – 34470 Pérols – 07 60 61 94 01.
Caroline Bouvier Maison de couture – 15, rue du Palais des Guilhem – 34000 Montpellier – 04 67 86 94 45.
Espace Propreté – 1, rue Charles Didion – 34000 Montpellier – 04 99 63 26 15