Caux : Gersende de Saint-Exupéry, la bien nommée qui "n’a pas hérité d’une terre, mais qui l'emprunte à ses enfants"
En cette journée internationale des droits des femmes, la rédaction a souhaité mettre en avant des femmes au parcours inspiré, inspirant. Rencontre avec Gersende de Saint-Exupéry à Caux.
Fondé au Moyen Âge sur les vestiges d’une villa gallo-romaine, le domaine la Chartreuse de Mougères est un lieu chargé d’histoire. Proche de Pézenas, il se situe en face de l’abbaye Notre-Dame de Mougères où 30 petites sœurs de Bethléem sont encore en activité. Au-delà des vignes, poumons verts de la propriété, le domaine a été rénové en 2018 et comprend également des tables et chambres d’hôtes et une boutique. Gersende de Saint-Exupéry, vigneronne, nous en dit plus sur ce domaine où la femme est très présente.
Pouvez-vous vous présenter ?
« Avec mon mari, nous avons repris le domaine de Mougères. Nous sommes vignerons et produisons des vins languedociens, propres à ce climat et à cette terre intense qu’est le Languedoc. Cela fait huit ans que nous avons repris ce domaine de 30 ha qui nous a été confiés par les Pères Chartreux et sur lequel nous faisons des vins IGP et à AOP Languedoc.
Nous y avons développé des activités d’œnotourisme et consacré toute une partie du domaine à des chambres d’hôtes. Depuis le confinement, nous proposons également des tables d’hôtes. La plupart du temps, ce sont les produits de notre propre potager qui sont cuisinés à nos invités. »
Une filiation avec l’aviateur et écrivain Antoine de Saint-Exupéry, auteur du livre Le Petit Prince ?
« Nous avons la chance d’être de la même famille qu’Antoine de Saint-Exupéry. Nous partageons également ses convictions. Une de ses réflexions nous inspire notamment : celle de « ne pas hériter d’une terre de ses parents, mais plutôt de l’emprunter à ses enfants » et donc, de la préserver. Le lien avec Antoine de Saint-Exupéry est très fort dans cette région. Partant de Toulouse, son avion survolait le Languedoc, terre toujours aujourd’hui très liée au vin et à l’aéronautique. Antoine de Saint-Exupéry est un lointain oncle de mon mari, il n’a pas eu d’enfants et ce sont les enfants de ses sœurs qui sont aujourd’hui les ayants-droit et qui s’occupent de toute la transmission Saint-Exupéry.
Nous avons la chance de porter ce nom et de garder tout ce qu’il a bien voulu nous transmettre comme message. Cela nous inspire énormément dans le vin. Il était très sensible aux éléments. Nous, c’est pareil, sans éléments naturels, sans ciel et sans terre, il n’y a pas de raisin, donc pas de vin. »
Une cuvée baptisée Pilote a été lancée avec l’aide de la Région en faveur de la Fondation ?
« Cela a été une aventure extraordinaire avec la région et avec Sud de France. Afin de valoriser tout le travail sur l’aéronautique et sur le vin, nous avons créé une cuvée spéciale : la « cuvée Pilote ». L’objectif était de valoriser les vins de la région et en profiter pour soutenir la Fondation Antoine de Saint-Exupéry dont le but est de valoriser les activités sur la jeunesse.
Cette opération, ainsi que le chèque offert par Carole Delga, présidente de la Région Occitanie à l’association Arrimage, a permis de contribuer à l’édition du Petit Prince, textes et dessins réalisés en braille. Nous avons été très touchés par tout ce travail et cette réalisation.»
Quel a été votre parcours ?
« J’ai eu une enfance où j’ai beaucoup voyagé, en France et à l’étranger. J’ai eu un début de carrière « parisien », dans le monde du luxe chez Chanel, Sonia Rykiel ou encore L’Oréal, et ce pendant une dizaine d’année. En rencontrant mon mari vigneron, je suis passée du monde du parfum à celui du vin. Nous parlions le même vocabulaire mais son métier apportait une palette de goût immense à mon univers où seul l’olfactif des parfums était travaillé. Cette découverte du monde du vin, avec lui et avec mes beaux-parents, était extraordinaire.
Ce domaine nous a tout d’abord été confié en fermage par les Pères Chartreux. Nous avons repris la cave, puis le vin avant de nous intéresser aux bâtiments. Tout cela dans la proximité du monastère, aujourd’hui toujours habité par 28 petites sœurs. Tout cela faisait beaucoup de changements, avec une vie bien rythmée entre le travail des vignes et des vins et la rénovation des bâtiments. Dans le monde si particulier de Mougères, la vie monastique des sœurs est très présente. Elles sont très actives, et ont monté un atelier qui emploie aujourd’hui 30 salariées. Elles développent une activité artistique et artisanale magnifique. »
Pouvez-vous nous raconter l’histoire de Mougères ?
« L’histoire du domaine est calée sur l’histoire du Languedoc. Il y a 2000 ans Mougères était une villa gallo-romaine où on cultivait déjà la vigne et produisait déjà du vin. Sa proximité avec la Peyne, rivière qui longe le domaine, permettait la fabrication d’amphores. Ce patrimoine antique très fort nous projette dans le temps.
Traversant les siècles, Mougères devient un sanctuaire qui évite les guerres Cathares, protégé par les quatre villages qui l’entourent : Roujan, Neffiès, Alignan-du-Vent et Caux. Nous sommes au milieu d’une vallée et en contrefort d’un massif dont le relief contribue à la beauté de ce paysage. Traversant le temps, les guerres Cathares, le Moyen Âge ou encore les guerres de religion, le sanctuaire est protégé par des Dominicains. A la Révolution, il est bien sur fermé et se verra confié après ces heures sombres aux Pères Chartreux qui vont épouser les problématiques vigneronnes locales. Ils vont faire revenir des cépages comme le Macabeu ou le Vermentino qui ont fait la réputation des vins d’ici. Les Chartreux ont toujours été respectueux de Mougères, voulant protéger ses racines languedociennes. Devant repartir pour la Grande Chartreuse, ils ont alors confié leurs terres à l’école agricole de Bonneterre à Pézenas puis à mon mari dans les années 2000. Nous sommes par la suite devenus propriétaires et vu la taille des bâtiments, il a fallu organiser des activités supplémentaires pour que cela puisse tenir. C’est là que nous avons décidé de nous lancer dans les chambres d’hôtes en plus de notre activité de vignerons. »
Votre quotidien est très diversifié ?
« Le vigneron suit les saisons et adapte son travail en fonction. Expert-comptable, paysan, alchimiste, commercial, tailleur, et même un peu marin tant il scrute le ciel à l’approche des vendanges…. Là où ça devient très intense, c’est quand les métiers se cumulent ! Par exemple, au moment de la préparation des vendanges : il faut préparer la cave et matériel mais en même temps s’occuper de nos hôtes. Par exemple, les petits déjeuners de nos hôtes se préparent avec des produits frais ou des préparations maison qui demandent du travail tôt le matin. On réfléchit en même à la l’organisation de la journée et à la répartition des tâches. Après, c’est le rush entre les départs, la préparation des chambres et le travail à la cave ou à la boutique. Le déjeuner se transforme souvent en réunion d’équipe. On doit pouvoir se faire totalement confiance. Chacun est responsable de ses tâches et on compte sur lui : ça rend l’ambiance très pro, mais aussi très sympa. Préparation de la cave, nettoyage du pressoir, des cuves : c’est notre année qui se joue. Il faut que ce soit impeccable. En parallèle, on accueille les hôtes et nos clients au magasin.
On se doit d’être toujours disponible et de bonne humeur ! En fin de journée, c’est le moment de l’apéritif pour nos visiteurs qui profitent de la douceur de la fin de journée sur la loggia. La cuisine est à fond pour préparer les tables d’hôtes à partir des produits du potager et de l’huile d’olive maison.
La soirée est souvent intense entre le service et les discussions avec nos hôtes. Le temps de ranger, il est tard, mais c’est aussi le moment où l’équipe se détend et ça pour rien au monde on ne passerait à côté. »
Des rêves ou projets pour votre société ?
« Comme dirait mon père : des rêves, cela ne coûte pas cher, mais ça fait vivre. Pour Mougères, la palette est infinie. Nous souhaiterions en faire un jardin à la hauteur de ce qu’il a pu être et valoriser aussi ce patrimoine monastique. Il ne faut pas oublier que l’agriculture, c’est beaucoup de temps, beaucoup d’investissement avant que cela ne rapporte quoi que ce soit. Dans ce jardin idéal, que pourrait être Mougères, les connaissances des sœurs et des Pères Chartreux en matière d’herboristerie sont infinies. Si nous pouvons contribuer à être le premier fournisseur de matières premières, nous serions ravis. »
La place de la femme est une place importante à Mougères ?
« La femme est ancrée à Mougères. En effet, le monastère est dans cet environnement, très doux, très rond, entre les bras de la Peyne qui le protège, comme une madone. Il lui apporte ce petit supplément de douceur qui est propre à la communauté des Sœurs qui vivent ici, qui influent aussi cette délicatesse artistique et artisanal dans les sculptures qu’elles créent. Les femmes qui travaillent avec elles contribuent elles aussi partie de cette ambiance.
Cette petite entreprise est importante, pour la région, et pour les villages alentours. C’est extraordinaire d’avoir des femmes qui prient et des femmes qui travaillent, tout cela ensemble dans un même écho. Du côté de nos vins, cela donne ce petit supplément d’âme.
Après, j’ai tendance à penser que le travail de vigneron est un travail très féminin parce que tellement multidisciplinaire. C’est un travail aussi de mère de famille : les raisins vont se développer sur neuf mois, comme une maternité. Chacun de nos vins ont un caractère différent. Ils vont grandir et s’élever différemment, nous allons les accompagner comme des parents mon mari et moi, chacun avec son propre caractère, nos intuitions différentes, nos qualités complémentaires. Avec mon mari, c’est quelque chose que l’on a découvert dans notre vie, ce parallèle entre la maternité et le vin. »
Bravo à Gersende pour ce courage de changer de vie de la ville à la campagne et surtout merci pour le bon vin que produisent ces nombreux raisins enfants , qu’elle est grande cette famille qui réjouissent nos papilles et bon vin à toute la famille pour les naissances 22022