Portrait de l’Hérault : Frédéric Sabatier, “Il faut composer sa propre destinée”
Certaines destinées interpellent par leur singularité, leurs méandres, ou parce qu'elles résonnent avec ce qui aurait dû être, dès le départ. Frédéric Sabatier, directeur de l'école de musique Cadence à Montpellier, incarne ceux qui ont su composer leur propre destin.
Plutôt que de suivre le même refrain et de continuer sa brillante carrière d’expert-comptable, ce musicien aux talents multiples a préféré écouter sa mélodie intérieure et consacrer sa vie rythmée aux accords parfaits. Le Montpelliérain nous livre sa partition.
Qu’est-ce qui a initié votre passion pour la musique ?
Frédéric Sabatier : Jeune, ma passion pour la musique a été éveillée par ma mère et ma sœur, toutes deux passionnées par le monde de la musique classique. C’était assez amusant car, bien que je ne pouvais citer qu’une seule chanson des Beatles, j’étais à l’aise avec les musiques du XIXe siècle. C’était mon univers.
J’ai commencé par étudier le piano, puis je me suis tourné vers la flûte à bec baroque. Avec trois autres enfants, nous avons débuté à l’âge de 10 ans et avons bénéficié des enseignements d’un professeur exceptionnel qui nous a permis de progresser rapidement tout en appréciant ce que nous faisions. Malheureusement, l’un des membres de notre groupe est décédé d’un cancer, ce qui m’a profondément marqué et m’a conduit à abandonner la flûte à bec. C’est alors que ma grande sœur m’a suggéré de prendre des cours de flûte traversière avec une amie à elle. Là encore, j’ai eu la chance de bénéficier de l’enseignement passionné et talentueux d’un excellent professeur, qui m’a initié à la composition, à la compréhension de la musique et m’a ouvert à tous les styles musicaux. Cela a été le déclic pour moi.
Mais avant de devenir professeur de musique, vous avez exploré le monde des chiffres…
F.S : Adolescent, j’ai envisagé une carrière dans le domaine comptable, suivant les traces de mon père qui tenait un cabinet d’expertise comptable. J’ai entamé des études de droit à la faculté, une discipline qui me passionnait réellement. Le chemin semblait tout tracé. Cependant, un jour, j’ai commencé à remettre en question mes choix…
Tout est parti du constat que je n’étais jamais pleinement satisfait dans mes activités musicales. Un jour, j’ai réalisé que cela ne pouvait pas être si mal. J’ai donc abordé mon professeur et lui ai fait part de mon désir de me tourner vers l’enseignement de la flûte traversière. Sa réponse a été catégorique : “Évidemment !”.
Qu’est-ce qui vous attire dans le métier d’enseignant ?
F.S : J’ai toujours eu un désir profond de partager mes connaissances. Même étant enfant, dès que je découvrais quelque chose de nouveau, j’avais envie d’en faire profiter mes camarades. J’ai également eu la chance de faire de belles rencontres dans le milieu musical, ce qui m’a ouvert de nombreuses portes, que ce soit à travers des stages, des Masterclass, la composition ou encore la direction d’orchestre. J’ai toujours été animé par une soif d’apprendre et de comprendre le fonctionnement des choses, ainsi que la façon dont les gens pensent.
L’idée de monter une école de musique est née de mon désir de contribuer à ma manière à l’éducation musicale. J’ai constaté que les écoles de musique traditionnelles se concentraient principalement sur les enfants et la musique classique, laissant de côté les adultes et d’autres styles musicaux. J’ai donc pris l’initiative d’établir une méthode d’enseignement adaptée aux adultes de tous âges, qu’ils soient débutants ou qu’ils reprennent la musique après de nombreuses années. J’ai commencé à donner des cours dans des écoles de musique et des Maisons pour Tous, tout en jonglant pendant douze ans entre cette passion naissante et mon emploi dans le domaine comptable. Peu à peu, le rêve de créer mon propre établissement musical prenait forme.
Comment avez-vous concrétisé ce rêve ?
F.S : J’ai d’abord mis au point une méthode d’enseignement pour adultes, en prenant en compte les besoins et les attentes spécifiques de cette population. Je donnais des cours le soir après ma journée de travail au cabinet comptable. Pendant douze ans, j’ai jonglé entre mes deux activités, en rêvant de l’école de musique et en prenant un réel plaisir à enseigner. J’avais en tête que mon projet d’école de musique était voué à perdre de l’argent, contrairement à mon activité lucrative dans le domaine comptable. Le premier pas que j’ai fait pour medétacher du monde comptable a été de quitter le cabinet de mon père et d’explorer d’autres opportunités professionnelles. Malgré les incertitudes financières, je savais que je devais suivre ma passion et réaliser mon rêve.
En quoi consiste votre méthode ?
F.S : Ma méthode repose sur une compréhension approfondie de chaque élève et une analyse de sa personnalité. On cherche à savoir ce qu’il aime en musique, ses préférences, et comment il envisage son apprentissage musical. On s’adapte à lui. L’idée, c’est de lui donner confiance en lui, de lui montrer que la musique peut être source de plaisir. Parce que si une personne prend du plaisir, elle va naturellement progresser. C’est crucial car l’objectif est de donner à l’élève l’envie de pratiquer, même chez lui. Donc, on cherche toujours à rendre les séances agréables et stimulantes. Et puis, si un élève rencontre des difficultés, on ne se contente pas de lui dire “tu n’as pas assez travaillé”. On se remet en question en tant que professeur. On se demande quelle approche adopter pour mieux l’aider à avancer. Chaque professeur a sa propre méthode, mais l’essentiel, c’est de toujours placer l’élève au centre de l’apprentissage, de s’adapter à lui et de lui donner le goût de la musique. C’est un peu la philosophie qui guide notre enseignement.
Quels ont été les défis rencontrés sur ce chemin ?
F.S : Lancer une école de musique a été un véritable défi. J’ai investi mes économies dans ce projet, conscient que cela prendrait du temps avant que l’école ne devienne rentable. Cependant, j’étais en parfaite adéquation avec moi-même et je ressentais une profonde satisfaction à réaliser quelque chose qui avait du sens pour moi sur le plan humain et artistique.
Lorsque j’ai constaté que la méthode que j’avais développée pour la flûte traversière rencontrait un franc succès, j’ai décidé de louer un local et d’engager des professeurs de piano et de guitare. C’est ainsi que l’aventure de l’école de musique a débuté en 1991 à Figuerolles. Le succès de l’école a rapidement exigé l’acquisition de locaux plus spacieux, et avec l’aide de mes parents, j’ai pu acheter un local moderne que j’ai aménagé en plusieurs salles en 1998. Ce fut un tournant décisif dans l’histoire de l’école, et le succès était tel que nous avons dû louer des locaux supplémentaires. Ma formation en comptabilité et en droit m’a été extrêmement utile pour gérer toutes ces évolutions !
Comment en êtes-vous arrivé au quartier des Arceaux et à l’emplacement actuel de l’école ?
F.S : Tout a basculé lorsqu’un homme de 60 ans est venu me voir pour me confier qu’il envisageait d’apprendre le violon à la retraite, dans un an. Je lui ai suggéré de ne pas attendre et de commencer dès maintenant. Pendant ce temps, sa femme a débuté l’apprentissage du piano dans notre école. Nous avons rapidement tissé des liens. Un jour, alors que nous discutions, j’ai évoqué nos difficultés à trouver des locaux supplémentaires pour répondre à la demande croissante, et le fait que nous devions évacuer notre école en raison d’un risque d’effondrement de la toiture. Il m’a dit que son local était vide et qu’il ne voulait pas le louer à quelqu’un qu’il ne connaissait pas. Il m’a dit de venir visiter le lieu pour l’école et il y a eu l’effet Waouh. Du coup après trois mois de travaux, nous avons déménagé ici en janvier 2010 avec l’idée de partir une fois que le chantier de Celleneuve serait terminé. Finalement, quand on a essayé de faire repartir l’activité là-bas, ça tournait moyennement, tout le monde voulait venir ici.
De nos jours, comment se compose Cadence ?
F.S : Actuellement, à l’école de musique, environ 50% de nos élèves sont des adultes, tandis que les 50% restants sont des enfants et des adolescents. Nous avons des jeunes débutants en éveil musical à partir de 3 ans, tandis que nos élèves les plus âgés ont environ 75-76 ans et possèdent déjà plusieurs années de pratique musicale, certains ayant même 20 à 30 ans de piano derrière eux. Quand on voit nos différents élèves, on voit les nombreux bienfaits de la musique sur le plan physique, psychologique et social. Et puis comme nous n’avons pas de systèmes de notation, ils ne sont pas confrontés à un cadre obligeant. S’ils progressent c’est parce qu’ils ont envie, et parce qu’ils veulent monter. En effet, dès fin mars, nous commencerons à proposer des spectacles et des concerts à raison d’un ou deux par mois jusqu’à fin juin, avec trois spectacles prévus pour le mois de juin. Ces événements incluent des performances des élèves, des groupes de musique variés (rock, jazz, classique) ainsi que des spectacles individuels. Ces après-midis spectacles sont ouverts à tous et favorisent les échanges entre musiciens, tout en encourageant les élèves à se dépasser et à partager leur passion pour la musique.
Que doit-on vous souhaiter pour la suite ?
F.S : De continuer ! Notre école de musique a atteint un rythme de croisière et nous nous concentrons sur le maintien de ce qui fonctionne bien. Pour maintenir une qualité d’enseignement élevée et un environnement propice à l’apprentissage musical, il est préférable de ne pas avoir les yeux plus grands que le ventre. Nous préférons nous concentrer sur le développement des groupes de musique, l’ajout de nouvelles pratiques, nos concerts dans les EHPADs…
Actuellement, nous échangeons sur un projet de rénovation d’une grande salle qui nous permettrait d’avoir un espace de plus et de développer davantage nos activités de musiques d’ensemble, notamment en créant de nouveaux groupes de rock, de jazz et de musique classique. Le rêve serait de continuer d’améliorer le bien-être de nos élèves et de renforcer notre lien avec la communauté locale.