Portrait de l’Hérault : Gaëlle Nayo-Ketchanke, poids lourd de l’haltérophilie, revient sur sa passion, son parcours, ses JO
Alors que l’ouverture des Jeux Olympiques de Paris 2024 se rapproche, nous sommes partis à la rencontre de ceux qui ont déjà vécu cette expérience et en gardent des étoiles dans les yeux. Premier stop de cette aventure avec Gaëlle Nayo-Ketchanke, une figure inspirante de l’haltérophilie.
Comment avez-vous débuté l’haltérophilie ?
Gaëlle Nayo-Ketchanke : Jeune, je m’étais passionnée pour l’athlétisme mais mes sœurs et frères pratiquaient l’haltérophilie et mon père était entraîneur. La salle d’entraînement était en dessous de chez nous, alors quand je rentrais à la maison, mon père me disait de passer, de tester, et peu à peu je me suis impliquée.
Qu’est-ce qui vous a fait tomber amoureuse de la discipline ?
G.N-K : Quand j’allais à la salle pour regarder les autres, j’étais tout le temps attirée par l’ambiance. C’était incroyable. Puis, voir que l’haltérophilie me permettait de me développer musculairement m’a beaucoup attirée. Plus j’en faisais, plus mes formes changeaient, plus je prenais goût à la discipline. Malgré les moqueries des garçons, j’étais bien dans mon corps et je n’étais pas déstabilisée. Alors je me suis appliquée, j’ai adopté la régularité dans le travail qu’exige le sport. Je me sentais vraiment bien.
Les clichés peuvent être lourds dans ce genre de discipline, en avez-vous fait l’expérience ?
G.N-K : Ma grande sœur était en équipe nationale au Cameroun à l’époque, et il y avait de nombreuses filles qui s’entraînaient, donc pour moi il n’y avait pas de barrière de sport de fille ou de garçon. Cela a surpris plus d’une personne que je me focalise sur ce sport mais avec les années les réflexions ont cessé. Aujourd’hui, j’ai l’impression que les clichés ont en partie disparu, notamment avec les réseaux sociaux et la diffusion des compétitions. En haltérophilie, il y a de la performance à tous les niveaux, que ce soit chez les hommes ou chez les femmes. On pourrait même dire que les femmes prennent le dessus, car il y en a de plus en plus et elles remportent de jolies médailles et titres.
Est-ce que l’haltérophilie vous a forgée ?
G.N-K : Absolument ! Je crois que mon caractère vient de là. Je n’ai jamais été du genre à me laisser faire, à être timide, mais le fait de m’investir dans le sport m’a rendue très forte mentalement. Il faut être capable de gérer la pression, l’attente, la compétition, les échecs, les blessures… Il faut se surpasser tous les jours, pas le choix, et ce n’est pas tous les jours facile. C’est grâce à tout cela que l’on sait quel genre d’athlète on sera. Si l’on est une athlète qui se laisse déstabiliser au moindre gros problème, qui est bloquée par le stress, alors cela ne sert à rien de faire du sport de haut niveau.
Et un jour, vous avez quitté le Cameroun pour la France…
G.N-K : Cela s’est passé en 2008, après être arrivée en France pour préparer les Jeux olympiques de Pékin avec l’équipe du Cameroun lors d’un stage à Lyon. J’ai décidé de rester. À ce moment-là, mon frère était également en préparation pour les Jeux olympiques, mais il n’était pas au courant de ma décision de partir. Il faut savoir que quand j’ai pris l’avion ce jour-là, ce n’était pas pour rester. Je me suis posée une simple question : est-ce que je veux continuer dans ce sport ou rentrer au Cameroun et retrouver les galères ? Alors je suis allée à Dijon où se trouvait ma grand-mère. Pour moi, rester en France, c’était une opportunité d’entrer en Europe, de quitter les difficultés et le manque de soutien que nous rencontrions dans le sport de haut niveau au Cameroun, notamment en termes de financements et de suivi, ainsi que la corruption. Comme je parlais déjà français, je n’ai pas hésité longtemps.
À Dijon vous excellez, puis vous arrivez dans l’Hérault…
G.N-K : De 2008 à 2013, j’étais sans papier. J’ai participé à des compétitions pour le club de Dijon en tant qu’athlète ‘open’, car même sans papiers, j’avais la possibilité de concourir. Tout se passait bien. Mais ma carrière a vraiment pris un tournant lorsque je suis arrivée à Clermont-l’Hérault en 2010. Le club m’a recrutée lorsque je suis venue rendre visite à mon frère, qui avait été recruté après les Jeux olympiques de Pékin par Clermont Sports. Encore aujourd’hui, c’est mon club de cœur, je ne les ai jamais quittés, et même si ma carrière d’athlète de haut niveau est derrière moi, je continue de grandir avec eux.
Quel rôle a joué le sport dans votre régularisation ?
G.N-K : Il est à l’origine de tout. En 2010, lorsque je suis arrivée à Clermont, ma vie tournait entièrement autour du sport. Pendant trois ans, j’ai consacré chaque instant à m’entraîner et à participer à des compétitions, j’étais toujours sans-papiers. Je m’entraînais intensément deux fois par jour, environ huit heures au total, dans le but de réaliser mes objectifs, de régulariser ma situation et avec le rêve d’intégrer un jour l’équipe de France. Mes succès en compétition et ma notoriété grandissante ont commencé à attirer l’attention des médias, puis celle de la Fédération française, qui m’a proposé de lancer le processus de naturalisation. Je n’ai pas hésité, et j’ai saisi cette chance. En moins de cinq mois, j’ai obtenu ma naturalisation et intégré l’équipe de France. Ensuite, tout s’est enchaîné et rapidement j’ai obtenu des titres avec la France, notamment aux championnats d’Europe où j’ai remporté une médaille d’or, neuf d’argent et deux de bronze, et aux championnats du monde, où j’ai décroché l’argent et le bronze en 2017.
En 2016 et 2021, vous participez aux JO. Quels souvenirs gardez-vous de cette expérience ?
G.N-K : Participer à une compétition de haut niveau comme les JO est une expérience unique et incroyable. Rien que d’être sélectionné est un accomplissement en soi, car tout le monde n’a pas cette chance et tous les athlètes ont ce rêve. Vous vous lancez dans cette compétition avec l’objectif de réussir, après avoir travaillé dur pendant quatre ans pour cela. Et humainement, c’est une expérience à couper le souffle car dans le Village des athlètes, vous côtoyez des athlètes du monde entier, issus de disciplines variées. Le fait de partager un même lieu de vie avec des sportifs de tous horizons, c’est tout simplement incroyable.
Vous avez pris votre retraite de sportive de haut niveau en 2021, avec du recul, quel regard portez-vous sur les chances françaises cette année ?
G.N-K : Déjà, je peux vous dire que je compte regarder les Jeux, et peut-être même y assister ! En haltérophilie, il y a de réelles chances de médaille, notamment avec des athlètes comme Romain Imadouchène et Marie-Josèphe Fègue, ce qui promet un beau spectacle. Je suis excitée pour les autres de vivre cette belle expérience.
Aujourd’hui quel est votre relation à l’haltérophilie ?
G.N-K : Pour ma part, désormais, ma principale préoccupation est ma famille, je profite de mon fils. Quant à ma carrière professionnelle, je suis maintenant aide-soignante auprès des personnes âgées. Je n’ai pas perdu mon amour de la discipline et je retourne à la salle d’haltérophilie de Clermont pour m’entraîner dès que j’en ai l’occasion. Pour le moment, je ne me vois pas faire du coaching mais j’aime bien donner un coup de main bénévolement quand je le peux.