Prison de Villeneuve-lès-Maguelone : "Le sport, c'est le seul moyen de s'évader"
À la prison de Villeneuve-lès-Maguelone, le sport offre une respiration aux détenus mais leur apporte également un cadre et une discipline profitables. Reportage sur les terrains, derrière les barreaux.
“Relève la tête, respire“, lance Sofiane Alkhaliki à un détenu en train de courir depuis le bord de la piste d’athlétisme, derrière les murs de la prison de Villeneuve-lès-Maguelone. Président de l’association Montpellier Petit Bard (MPBA), entraîneur-formateur en athlétisme, il intervient ponctuellement en prison depuis 2014. “Au club, nous valorisons l’insertion par l’activité sportive, c’est normal que nous soyons là”, sourit le quadragénaire.
Ce lundi-là, vingt-trois détenus écoutent ses conseils ainsi que ceux des trois surveillants/moniteurs de sport qui les encadrent pour les olympiades : une semaine d’épreuves organisée dans le cadre de “Sentez-vous sport”, une opération nationale. “L’idée est de leur faire pratiquer des disciplines qui sortent de l’ordinaire“, explique le brigadier-chef Mickaël Escolano, leur apprendre de nouvelles règles. Pas toujours évident.
“Beaucoup sont en échec scolaire, d’autres ne sont pas français… La plupart a arrêté le sport en même temps que l’école et ils ont du mal avec l’apprentissage des règles. Hormis pour le foot ou la muscu, ils sont presque tous débutants”, selon M. Escolano, également moniteur sportif. Le sport, ce n’est pas que de l’effort mais aussi une discipline et un certain cadre. Deux choses “qui ne font pas vraiment partie de leur quotidien habituellement“. A cela s’ajoutent les problèmes d’addiction de nombreux prisonniers, des rythmes de vie décalés et des régimes alimentaires chaotiques rarement synonymes de bonne condition physique.
« La rage s’en va »
Quoiqu’il en soit, les détenus sont “très demandeurs” pour participer aux activités sportives pour lesquelles il faut se porter volontaire. “Depuis que je suis rentré, je fais du sport deux fois par semaine, les mardis et jeudis matins, et en plus sur des événements comme celui-ci, explique Momo*, 42 ans, dont trois passés dans cette maison inhospitalière. Le sport, c’est le seul moyen que l’on a de s’évader. Ça, et les parloirs avec nos familles. Et puis tu fumes moins, tu réfléchis moins. Tu peux être énervé, tu viens faire ton sport et la rage s’en va”, assure-t-il. En ajoutant : “Tout le monde est joyeux quand on est au sport.“
Il est vrai que ce jour-là, lundi 23 septembre, l’ambiance est bon enfant sur le terrain, la plupart des détenus ont le sourire aux lèvres, s’encouragent ou se charrient gentiment. “Si tu me bats [au sprint], je t’encule à la promenade”, balance l’un d’eux à son concurrent en se plaçant sur la ligne de départ. Tout est relatif.
En tout cas, aucun ne rechigne à l’effort sur la piste. Excepté Kader*, un Algérien au visage émacié et au sourire édenté d’une cinquantaine d’années. Un marginal, sous méthadone, le traitement de substitution à l’héroïne, qui enchaîne les courtes incarcérations. “Il entre, il sort, il ne fait que ça. Depuis que je suis arrivé à Villeneuve en 2015, cela doit faire la quatorzième fois que je le vois ici”, confie Mickaël Escolano. Cette fois, il demande à aller à l’infirmerie et quitte les épreuves à peine entamées. “Tu sais que j’ai une hépatite C, dit-il au gardien, j’ai peur que mon foie éclate” Retour dans les couloirs de la prison, direction l’infirmerie. La séance est finie pour lui.
« Les tacles sont interdits au foot »
Les autres restent sur la piste pour poursuivre la compétition : 1 000 mètres, sprint et lancé de vortex, une torpille en mousse inoffensive pour remplacer les javelots – un objet potentiellement contondant – sont au menu. “Les sports sont adaptés à la prison“, explique le surveillant. Toutes les machines de musculation sont, par exemple, fabriquées par un constructeur agréé avec des poids tractés indéboulonnables, le rugby se pratique avec un foulard pour éviter les placages, on ne porte pas les coups à la boxe et “les tacles sont interdits au foot” ; une façon de maintenir la paix sociale avec un sport hautement inflammable, à l’intérieur comme à l’extérieur de la prison. “Le ballon, c’est le ballon, les gens ont le sang chaud”, en convient Momo* en souriant.
Pour assurer la paix du sport, les surveillants veillent au grain dans la sélection des joueurs en mélangeant les écrous, les âges, les étages et les peines afin de briser les affinités et les inimitiés. Escrocs, petites frappes, criminels, dealers… Les profils se mêlent sur les terrains sans s’affronter. La plupart du temps. “Nous avons accès à leurs profils, contrairement aux autres gardiens, pour ne pas avoir, par exemple, que des criminels et faire en sorte que cela se passe au mieux, confie M. Escolano. Nous devons aussi nous assurer qu’aucun ne fait l’objet d’une mesure d’éloignement.”
« Un taux d’occupation de 160 % »
Théoriquement, le centre de Villeneuve-les-Maguelone est, dans sa définition administrative, une maison d’arrêt. Il est donc censé recevoir les personnes en détention provisoire, celles condamnées dont la peine n’excède pas deux ans et les condamnés en attente d’affectation dans un établissement pour peines. Mais face à la surpopulation régionale, les établissements ne peuvent faire autrement que d’élargir les profils des détenus. “On a déjà eu des mecs qui ont pris perpète ici“, confie un gardien.
“Aujourd’hui, lundi 23 septembre 2024, nous sommes à 945 détenus(1), soit un taux d’occupation de 160 %”, confie la nouvelle directrice, Pauline Rossignol. “Nous n’allons pas le nier, la surpopulation joue sur les conditions de réinsertion“, indique la directrice de cet établissement non soumis à un numerus clausus. “Plus de 850 détenus dorment à même le sol dans les prisons d’Occitanie, dénonce le syndicat UFAP dans un communiqué du 23 septembre. 72 à Villeneuve, 117 à Nîmes, 245 à Seysses, 106 à Perpignan, etc.”
La surpopulation rallonge les temps d’attente
Résultat : l’accès aux activités, au travail, à la formation et au sport devient difficile, notamment à cause d’un manque de personnel. Ce qui fait dire à un détenu croisé dans les couloirs que “le sport, faut être pistonné pour pouvoir y aller”. En réalité, “la surpopulation, ce ne sont pas que les matelas par terre mais aussi des temps plus longs pour toutes les démarches : l’école, l’administration… Et l’inscription au sport. Tout ce qui sert à construire l’après“, concède Pauline Rossignol. “Cela rallonge parfois le temps d’attentes de deux, trois, quatre mois pour pouvoir pratiquer un sport“, poursuit Mickaël Escolano.
Ceux qui y parviennent peuvent ensuite pratiquer, une à deux fois par semaine, aux choix : basket, foot, musculation, sac de frappe, ping-pong, badminton et cross training. “Nous avons entre 60 et 70 détenus par séance de deux heures, une le matin, une autre l’après-midi, du lundi au vendredi, encadrés par trois surveillants dont moi“, explique Mickaël Escolano. “Cela ne doit pas être seulement occupationnel, c’est vraiment une recherche de cadre, de règles. S’ils sont capables de le faire avec le sport, ils seront capables de le faire dehors, quand ils seront libres“, veut croire Pauline Rossignol.
C’est le but de ces olympiades qui se terminent par un 100 mètres cet après-midi. A défaut de troisième mi-temps, les détenus regagnent leurs cellules en empruntant les couloirs bruyants de la prison où l’odeur n’est pas sans rappeler celle des vestiaires. Encore essoufflés par cette respiration dans leur quotidien carcéral.
Cyril Durand
* Prénoms d’emprunt.
(1) La prison est prévue pour 587 places.