Ressources humaines : Philippe Pierre, "des outils concrets pour recruter et fidéliser ses collaborateurs"
Philippe Pierre, praticien RH, enseignant, chercheur, est intervenu le 6 décembre dernier aux Assises de la TPE organisées à Saint-André-de-Sangonis. Il s'est montré disruptif dans ses conseils aux DRH et aux dirigeants…
Photo © Virginie Moreau.
Mardi 6 décembre, 130 chefs d’entreprise étaient présents aux Assises de la TPE, à Saint-André-de-Sangonis, pour réfléchir aux moyens d’attirer, recruter et fidéliser les collaborateurs des entreprises du Cœur d’Hérault. Ils ont été accompagnés dans leur réflexion par une intervention particulièrement riche en enseignements de Philippe Pierre, expert en management interculturel, conférencier et formateur, qui a travaillé en sociologie à Sciences Po avec Renaud Sainsaulieu.
L’étonnement volontaire
L’intervenant a partagé ses convictions sur le recrutement, l’intégration des nouveaux collaborateurs, la gestion de carrière… et sur la posture d’étonnement volontaire qu’il conseille aux DRH et dirigeants pour attirer et dynamiser des personnes ressources. Il s’agit de distancier son regard, dans ce contexte de “grande démission” et de nouveaux rapports au travail. Selon lui, la TPE a une qualité : la proximité managériale. “Vous êtes en première ligne pour attirer, mobiliser, fidéliser. C’est un avantage par rapport aux grandes structures”, a-t-il dit aux dirigeants de TPE présents au château de Granoupian, où étaient organisées les Assises de la TPE.
Il les a invités à accepter le fait qu’il existe plusieurs modèles professionnels. “La grande démission est une remise en cause des modèles culturels et de la centralité du travail dans la vie”. Il a évoqué le modèle professionnel de loyauté, qu’il pratique lui-même, où la forte implication du collaborateur est correllée à la sécurité de son parcours (le salarié travaille en s’impliquant beaucoup, en échange son employeur est satisfait et le garde à son poste jusqu’à la retraite). Et constate la montée en puissance du modèle de l’employabilité : certaines personnes envisagent leur vie comme une succession d’expériences professionnelles, et sont difficiles à retenir…
Deux questions essentielles
Dans le cadre de sa posture d’étonnement volontaire, Philippe Pierre conseille aux dirigeants de se poser deux questions : “Quelles sont les 5 bonnes raisons de venir travailler dans notre entreprise qui existent peu ou pas chez notre concurrent principal ? Quelles seraient les 5 raisons de nous quitter ?”. Un questionnement salutaire qui permet de remettre en cause ses pratiques managériales et les process en vigueur dans l’entreprise.
De plus, selon lui, “Un entrepreneur doit créer des espaces de parole pour entendre des choses qu’il n’a pas envie d’entendre”. “J’invite souvent les dirigeants à poser cette question à leurs équipes : si tu avais une baguette magique, quelles sont les trois choses que tu confirmerais ou transformerais dans mon management ?”, détaille Philippe Pierre, qui affirme : “le dirigeant doit questionner les modèles sur lesquels il s’appuie pour agir”.
Quelques conseils pour le recrutement
Pour Philippe Pierre, “Un bon entretien de recrutement, c’est passer un tiers du temps en mouvement. Il faut marcher avec la personne, aller l’accueillir, passer de la convivialité à l’intimité”. Le BA-BA de l’entretien de recrutement est : “jamais en un seul lieu physique, jamais tout seul (il est important de croiser les regards) et jamais en une seule fois”.
Philippe Pierre met les recruteurs en garde contre les entretiens de confirmation, qui consistent à vouloir trouver chez la personne des qualités qu’on a soi-même. Il faut selon lui passer de la confirmation à l’exploration, changer d’avis en cours d’entretien. “Je déconseille de faire confiance à son ressenti en entretien, et recommande d’accepter l’imprévisible, l’inconnu, ceux qui ne fonctionnent pas comme nous. Le talent est souvent caché, les compétences sont souvent inattendues. Il peut être judicieux de donner une chance aux personnalités étonnantes”.
Selon lui, “un talent est quelqu’un de différent qui touche à l’essentiel par son aptitude au questionnement. Ce n’est pas obligatoirement un champion du monde de l’entretien (Philippe Pierre met d’ailleurs en garde contre les fausses promesses qui font croire à un potentiel). Il produit des résultat sans faire sa star. C’est un contributeur excellent, qui aime créer des valeurs collectives et fait montre de générosité dans la transmission. Il est ressourçant car il offre une vision sous un autre angle”. Il assure : “Quand on a la chance d’intégrer un talent, il renvoie les équipes et le dirigeant à leur incompétence (in)consciente. C’est pourquoi il est bon de protéger cette personne”.
L’expert en ressources humaines prône l’équité et non l’égalitarisme entre les collaborateurs si l’on veut être attractif et faire de sa TPE un lieu qui fait grandir dans un bon climat social. Il conseille d’identifier et assumer dans ses équipes des différences qui profitent à tous. “On est tous amenés à se comporter en tant que talents si l’environnement professionnel est apprenant et fait grandir”, estime-t-il.
La note d’étonnement
Une fois la personne recrutée, Philippe Pierre propose aux dirigeants de demander à la personne, au bout d’un mois, quels sont les 5 points qui l’ont étonnée depuis qu’elle est dans l’entreprise. Elle le fera au choix par écrit sous forme de note ou en images (prises sur Internet ou dans des magazines). Un débriefing aura lieu et, trois mois plus tard, le dirigeant évoquera avec le collaborateur les progrès éventuellement réalisés en fonction des étonnements qui avaient été pointés. Il s’agit selon lui d’un incontournable de la boîte à outils du manager.
S’exprimer sur son entreprise
Philippe Pierre invite les chefs d’entreprise à parler le plus possible de leur entreprise pour en faire parler, ce qui peut donner envie aux personnes de rejoindre l’équipe. Cela peut passer par les mots, les images, la vidéo, les réseaux sociaux (un entrepreneur doit choisir celui qui lui ressemble, pour être authentique et aligné) et la microconversation avec les collaborateurs (par WhatsApp ou physiquement). Autant de moyens de communiquer qui permettent aux TPE d’être attractives.
Des ambassadeurs de l’entreprise
Philippe Pierre met en avant le rôle des personnes ressources de l’entreprise, qui peuvent devenir ses ambassadeurs. Il peut s’agir par exemple de créer sur le site Internet de l’entreprise une vidéothèque de témoignage de personnes qui y travaillent de longue date ou des meilleurs éléments. Un jeune et un ancien peuvent lui poser les questions suivantes : “quelles sont les trois choses dont tu es le plus fier ? As-tu 2 conseils à donner aux jeunes recrutés de ton entreprise ?”. Il propose de consulter le site Internet glassdoor.com où des témoignages de ce type sont référencés.
Que faire quand une personne compétente vous quitte ?
Dans le cas où un élément important de l’entreprise serait amené à démissionner, Philippe Pierre recommande de “pratiquer l’entretien de sortie à chaud et à froid”. Cela consiste à passer une heure avec la personne le (sur)lendemain de l’annonce de son départ et à lui demander : “quelles sont les trois choses que j’aurais dû mettre en œuvre pour que tu restes et pour améliorer l’entreprise ?”
On calera un entretien quatre mois plus tard, une fois que l’ex-collaborateur a fait son changement de vie, et on lui demandera si ça se passe bien pour lui désormais, et “comment on aurait pu faire pour que ça se passe encore mieux chez nous ?” Si un poste est disponible, on lui demandera s’il peut nous recommander plusieurs personnes. Philippe Pierre conseille de refaire un entretien tous les ans. Avec le temps, les ex-collaborateurs pourront devenir des ambassadeurs de l’entreprise, et éventuellement revenir dans l’entreprise en tant qu’apporteurs d’affaires, de relais auprès des prestataires…
Deux derniers conseils
Philippe Pierre livre un avant-dernier conseil : “il est toujours utile de placer des salariés sur d’autres postes pendant quelques jours et de leur proposer de donner des idées d’améliorations possibles et d’en récupérer pour les appliquer dans leur propre service”, car, disait Claude Levi Strauss : “l’important n’est pas d’ouvrir les autres à la raison, mais de s’ouvrir soi-même, patiemment, aux bonnes raisons des autres”.
Autre conseil, “si une personne compétente quitte l’entreprise, il peut être utile de se demander, sur l’année écoulée, quelles personnes sont venues nous voir et nous dire quelque chose d’utile que l’on n’a pas eu envie d’entendre”. Ainsi, cela pourra éviter que d’autres personnes ressources courageuses ne quittent le navire. Deux fois par an, on gagnera à se demander quelles sont les personnes ressources et relais de l’entreprise, qui, en cas de situation délicate, sont essentielles…
Pour en savoir plus : philippepierre.com / Michel Serres, Petite Poucette, C’était mieux avant, deux conseils de lecture donnés par Philippe Pierre.