Sabine Raynaud : Lettre ouverte à l'attention des parents d'élèves et des élus de l'Hérault
Lettre ouverte de Sabine Raynaud Secrétaire départementale du SNUDI FO 34, ( Syndicat national unifié des directeurs, instituteurs et professeurs des écoles de l’enseignement public Force Ouvrière )
Depuis des années, l’école publique subit des suppressions de postes :
- de remplaçants, ce qui entraîne des centaines de journées d’enseignement perdues pour nos élèves, qui sont répartis dans les autres classes quand les parents n’ont pas pu les garder chez eux
- de RASED, ce qui prive les élèves en difficulté de l’aide précieuse que pouvaient leur apporter les enseignants spécialisés qui les prenaient en petits groupes, et celle des psychologues scolaires qui travaillaient également avec les parents.
- d’AESH, qui ne sont pas attribuées ou se retrouvent ballotés entre plusieurs élèves à saupoudrer leur aide dans l’incohérence et sans le suivi nécessaire, toujours dans la précarité et avec des salaires indécents
- d’enseignants, ce qui entraîne des fermetures de classes, les effectifs par classe ne baissent pas, au contraire les dédoublements en éducation prioritaire sur les CP et CE1 les font augmenter dans les autres niveaux, les écoles avec classe unique et les classes à niveaux multiples se multiplient, en particulier dans les zones rurales .
Depuis 2017, le ministre Blanquer a supprimé 7900 postes d’enseignants dans les collèges et lycées, le ministre Ndiaye a supprimé 2000 postes d’enseignants à la rentrée 2023, le ministre Attal avait prévu la suppression de 1709 postes d’enseignants dans les écoles publiques pour la rentrée 2024, et a dû baisser ce chiffre à 650 sous la pression de la colère qui monte dans les écoles.
À cette pénurie de personnels, organisée par les gouvernements successifs pour réduire les coûts, s’ajoute une inclusion scolaire systématique, forcée, qui génère détresse, souffrance et maltraitance.
En effet, par manque de places en ULIS et dans les établissements médico-sociaux (IME, ITEP), les élèves sont scolarisés dans des conditions inadaptées à leurs besoins notifiés par la MDPH.
Cette situation a comme conséquence une triple maltraitance morale, physique et psychologique :
- maltraitance pour les élèves en situation de handicap et leur famille, dont les droits sont bafoués, qui sont privés de conditions d’apprentissages adaptées et des soins nécessaires, et se retrouvent en grande souffrance, ou bien s’enfoncent dans leurs difficultés. Certains sont des dangers pour eux-mêmes ou pour les autres élèves.
- maltraitance pour les autres élèves dont la sécurité ne peut parfois plus être assurée par leurs enseignants et AESH démunis et impuissants
- maltraitance pour les AESH, les ATSEM, les enseignants qui sont frappés, insultés, placés dans des dilemmes permanents: suivre l’élève qui s’enfuit ou rester avec le reste de la classe ? Aider celui-ci en laissant cet autre se débrouiller ? Laisser un élève hurler, se taper la tête contre les murs et jeter des objets en classe ou le faire sortir, mais avec quel adulte ?
Derrière la vitrine de l’école inclusive, l’inclusion systématique c’est la négation du handicap par la privation, c’est la dégradation des conditions d’apprentissages et de la sécurité des élèves dans les classes, l’augmentation des tensions dans les écoles, et au bout, des personnels en maladie ou en accident de travail. L’utilisation du concept d’école inclusive, qui vise « à assurer une scolarisation pour tous les élèves de la maternelle au lycée par la prise en compte de leurs singularités et de leurs besoins éducatifs particuliers » est la parfaite illustration d’une logique purement comptable volontairement dissimulée : une année scolaire à l’école revient en moyenne à 6300€ alors qu’une place en IME coûte en moyenne 39 000€ par an, 7 fois plus. Voilà ce que cherchent à masquer les discours démagogiques sur l’école inclusive. L’Association Nationale de Défense des Personnes Handicapées en Institution: (les familles qui sont en première ligne) ne s’y est pas trompée : « Notre association, depuis des années, regrette que le mot inclusion utilisé systématiquement soit en fait un moyen pour faire des économies en s’enveloppant de bons sentiments (…) Penser qu’une désinstitutionnalisation imposée règlera tous les problèmes de prise en charge est illusoire. Les plus handicapés seront encore une fois mis à l’écart. Il ne faudrait pas que cette volonté masque un souci permanent de faire des économies au sein d’une Europe libérale. »
Dans notre département, ce sont 400 élèves qui sont privés de place en établissements médico- sociaux et qui sont sur liste d’attente, certains depuis 5 années. S’y ajoutent 90 élèves en attente d’une place en Ulis. L’ex-ministre Attal avait admis que, nationalement, ce sont 23 000 places qui manquent.
Non seulement le gouvernement ne prévoit pas d’améliorer la situation, mais l’acte 2 de l’école inclusive l’aggrave avec la liquidation des établissements spécialisés et les Pôles d’appui à la scolarité qui placent les notifications MDPH sous la tutelle de l’Éducation Nationale afin de réduire drastiquement les heures d’accompagnement dues aux élèves en situation de handicap, et de limiter le recrutement d’AESH présentés comme des « entraves à l’autonomie des élèves » par de nombreux rapports ministériels. Rappelons que ces AESH sans statut sont maintenus dans la précarité et sous-payés.
Mais ce n’est pas tout :
Les conditions d’exercice de notre métier et de scolarisation de nos élèves ne cessent d’être dégradées par le rythme effréné des contre-réformes :
- la mastérisation qui a fait passer le concours à Bac + 5 a entraîné la crise du recrutement et d’attractivité actuelle, amplifiée par la faiblesse des rémunérations et l’effondrement du pouvoir d’achat des enseignants.
- l’augmentation du recrutement de contractuels, non qualifiés et non formés, au lieu de personnels statutaires
- la loi Rilhac : mise sous tutelle des directeurs transformés en managers chargés d’appliquer les contre-réformes ministérielles
- la loi Rilhac 2 : éclatement du cadre national de l’École publique pour la transformer en établissements autonomes administrés par les conseils d’école et ainsi soumis aux pressions locales au détriment de l’indépendance et de la neutralité des enseignants fonctionnaires d’État
- les évaluations d’écoles, dispositif de territorialisation de l’école complémentaire de la loi Rilhac
- les évaluations nationales qui dépossèdent les enseignants de leur expertise professionnelle, participent d’une perte de sens du métier et ne servent qu’à mettre les écoles en concurrence sans améliorer la réussite des élèves
- l’allongement de 2 ans de la durée de travail
- le « pacte » : distribution de primes conditionnées à des tâches supplémentaires qui ne constitue en rien une revalorisation
- le « choc des savoirs », avec ses groupes de niveaux, sa classe prépa-Seconde pour les recalés du brevet, des règles alourdies pour le redoublement, la labellisation des manuels scolaires et des méthodes imposées : après le bac Blanquer et Parcoursup, véritables machines à dé-qualifier la jeunesse, c’est une étape supplémentaire dans la destruction de l’École Publique : moins d’enseignements, plus de déréglementation au détriment des élèves les plus fragiles et socialement défavorisés, remis en cause de la liberté pédagogique des enseignants.
- l’expérimentation de l’uniforme : écran de fumée visant à camoufler les vrais problèmes que rencontre l’École publique à commencer par les 650 suppressions de postes ou le manque de places en établissements spécialisés bafouant les droits de milliers d’élèves en situation de handicap.
Et pour couronner le tout, les enseignants et l’école publique sont régulièrement calomniés, dénigrés, par les plus hauts responsables de ce pays : ils ne servent pas à redresser le pays (Macron), « les paquets d’heures non remplacées » (Oudéa Castera), les profs « décrocheurs » (Blanquer), qui « changent des couches » (Darcos). Ils sont également rendus responsables de cette situation, eux qui ne sauraient pas s’adapter à l’hétérogénéité et différencier leur pédagogie.
Nous considérons que cette dislocation de l’école publique et de nos métiers, cette maltraitance généralisée des élèves et des personnels par des injonctions intenables ne peuvent plus durer. Nous voulons enseigner dans le cadre de notre statut de fonctionnaire d’État, nous voulons que les droits des élèves soient respectés, que les plus fragiles bénéficient de l’aide et de l’accompagnement à la hauteur de leurs besoins, nous voulons que les personnels soient protégés et rémunérés dignement.
C’est la raison pour laquelle nous nous adressons à vous, parents et élus, défenseurs de l’École publique. La colère est immense dans les écoles, elle s’est exprimée lors de deux journées de grève le 25 janvier et le 1er février. Rien n’est réglé.
Aussi nous en appelons à votre soutien et votre mobilisation pour défendre nos revendications, pour rétablir des conditions de scolarisation et d’instruction à la hauteur d’un service public de qualité et de proximité tant dans les villes qu’en milieu rural :
- annulation immédiate des 650 suppressions de postes et création de tous les postes nécessaires, en particulier dans les établissements sociaux et médico-sociaux,
- abandon définitif de l’acte 2 de l’école inclusive, respect des notifications MDPH
- un statut de fonctionnaire et un vrai salaire pour les AESH
- abandon de toutes les contre-réformes qui cassent l’École Publique : « Pacte », « Choc des savoirs », évaluations d’école, loi Rilhac, …
- retour au recrutement par concours après licence (Bac + 3) avec une véritable formation sous statut
- Augmentation immédiate de 10% de la valeur du point d’indice ouverture de négociations pour rattraper 28,5% de perte de pouvoir d’achat depuis 2000 !
Sabine Raynaud, secrétaire départementale du SNUDI FO 34