Sanfourche, la fausse naïveté de l’extra-ultra art (Musée d'arts brut et singulier, Montpellier)
Repéré, encouragé puis collectionné dès ses débuts par l’inventeur de l’art brut, Jean Dubuffet, qui estimait qu’il tendait vers « un extra-art, un ultra-art qui [l]e touch[ait] vraiment », Jean-Joseph Sanfourche (1929-2010) avait pourtant débuté sa carrière en tant que directeur d’entreprise puis assureur. Sa passion pour les dessins caricaturaux et humoristiques puis pour la peinture sur divers supports l’incita à devenir artiste professionnel. Aujourd’hui, ses bonshommes aux yeux écarquillés, esquissant un salut bras levé dans la foule, symbolisent à eux seuls son œuvre, devenue très populaire en France comme à l’étranger.
Naissance d’un artiste
Un glaucome mal soigné, qui lui fit perdre l’usage d’un œil, fut sans doute à l’origine du choix de vie de Sanfourche. Angoissé par la douleur, la perspective de la cécité et la mort, il voulut laisser une trace en ce monde en peignant.
Des styles et des influences
Déjouant toute classification, Sanfourche aimait varier les styles d’un jour à l’autre, au gré des influences qu’il puisait ici ou là parmi ses contemporains. Ainsi, après avoir vu une exposition de Gaston Chaissac, il se mit à peindre en couleur. Le style de sa signature est assez proche de celles de Robert Combas et de Ben. Jean-Luc Thuillier, son biographe et légataire universel et commissaire de l’exposition, voit aussi dans ses accumulations un clin d’œil à Arman. Et il relève des allusions au style de Victor Brauner. Malgré ces filiations, Sanfourche développa un art qui lui fut tout personnel. Ses aplats, entourés de cernes noirs, furent un parti pris esthétique qui perdura tout au long de ses créations. Au fil du temps, son style évolua vers « une fausse naïveté », selon la directrice du musée d’art naïf Anatole-Jakovsky de Nice. Nombreuses sont ses peintures arborant un personnage esquissant un salut de la main, devenu le symbole de son art.
Le plaisir des supports
Sanfourche ressentait le besoin de varier les supports. Il peignait sur toile libre tout autant que sur tissu, pierre, fer, billes de bois et planches érigées en totems, mais aussi sur des os et crânes humains préhistoriques – il était d’ailleurs féru d’archéologie. Il éprouvait de la jubilation à peindre sur des volumes. Sanfourche expérimenta également avec des émailleurs limousins – région où il s’était installé – les limites de cette technique, et apporta au domaine de l’émail « une esthétique nouvelle, haute en couleur et figurative ».
« Sanfourche développa un art accessible à tous, chaleureux et fraternel », selon son biographe et légataire universel Jean-Luc Thuillier.
Thématiques
L’amour et le couple, ainsi que l’amitié et la fraternité, furent des thèmes centraux pour lui. Il représenta aussi la solitude, compensée par un verre de vin et des fleurs. Esotérisme et religion forment également le substrat de certaines de ses créations.
Le cyclope ou l’autoportrait
Nombreux sont les animaux et les personnages dans les œuvres de Sanfourche. D’abord ronds, puis carrés ou triangulaires, les visages se singularisèrent progressivement. Souvent, Sanfourche se représentait en cyclope animal ou humain. Ne voir plus que d’un œil étant son grand drame, il ne pouvait qu’en faire l’écho dans ses créations.
La légende et le masque
Toute sa vie durant, Sanfourche porta un masque et cultiva autour de sa personne une légende destinée à masquer son homosexualité. Le concernant, il était fort difficile de démêler le vrai du faux. Ainsi, quand on lui dit que son style était proche de celui de Chaissac, il assura avoir peint avec lui. Il s’inventa aussi une amitié avec Antonin Artaud. Le tout pour se protéger des personnes et des questions trop indiscrètes. Il cultiva néanmoins de vraies correspondances, voire de vraies amitiés, avec Jean Dubuffet, Robert Doisneau ou encore Louis Pons.
Dubuffet et Pagani, deux soutiens de poids
L’importance de Dubuffet fut capitale pour Sanfourche, car celui-ci le recommanda à ses amis François Mathey, Gaëtan Picon, Claude Massé, ainsi qu’au galeriste Alain Bourbonnais, qui exposa immédiatement ses totems polychromes. Suivirent des expositions collectives au Musée des Arts Décoratifs et au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, et parmi les Singuliers de l’Art réunis par Suzanne Pagé. Le peintre et marchand d’art italien Enzo Pagani l’exposa régulièrement au Museo d’Arte Moderne, près de Milan.
La reconnaissance et la mécanique de la demande
Avec la reconnaissance de son art s’installa une mécanique de production d’œuvres entretenue par la demande soutenue de ses galeristes. Il délaissa progressivement la peinture sur os, notamment, et en volumes plus généralement, au profit de la peinture sur toile, plus appréciée des collectionneurs.
Informations pratiques
> L’Atelier-Musée d’Arts brut, singulier et autres…
1, rue Beau Séjour
34000 Montpellier
Tel. : 04 67 79 62 22
www.atelier-musee.com
> Exposition visible jusqu’en septembre, du mercredi au dimanche de 10h00 à 13h00 et de 14h00 à 18h00.
> Plein tarif : 8 € / personne. Tarif réduit : 6 € / personne (étudiants…). Gratuit pour les enfants jusqu’à 10 ans.