Sète : Bruno Le Maire à la rencontre d’industriels pour le projet de loi Industrie Verte
Saipol (groupe Avril, spécialiste de la transformation des graines oléagineuses) a récemment annoncé 60 millions d’euros d’investissement dans son usine sétoise. Le ministre de l'Économie, des Finances et de la Souveraineté industrielle et numérique Bruno Le Maire a visité l’usine et en a profité pour échanger avec des chefs d’entreprise du territoire.
L’objectif de ce déplacement ministériel était d’écouter, d’échanger, d’identifier certains besoins du terrain et de faire part des grandes lignes de ce projet de loi. Christophe Beaunoir, le directeur général de Saipol s’est félicité de cette visite : « cela m’inspire de la fierté, car cela illustre que le travail réalisé avec les équipes depuis toutes ces années, et vous savez d’où l’on vient et la crise que l’on a connu, et bien cela paye. Quelque part, nous sommes certainement devenus ‘exemplaires’ dans notre développement pour attirer le ministre de l’Industrie et de l’Économie aujourd’hui. Mais ce sentiment de fierté s’accompagne également de responsabilités dans nos engagements vis-à-vis des énergies vertes, dans notre modèle de production comme dans l’utilisation des coques de tournesol pour alimenter en énergie, cela nous oblige et nous pousse à être plus constant, plus consistant, plus déterminé à continuer dans cette voie de la décarbonation de l’industrie française ».
La visite du site
Le ministre Bruno le Maire, accompagné du préfet de l’Hérault Hugues Moutouh et de François Commeinhes, maire de Sète et président de Sète Agglopôle Méditerranée a visité l’usine de Saipol au port de Sète : « Saipol est un exemple qui doit être suivi par beaucoup de sites industriels en France. C’est un exemple d’économie circulaire, d’économie décarbonée, d’indépendance en matière énergétique. Ici sur ce site, vous avez à la fois une production pour l’alimentation animale à partir de tourteaux végétaux permettant une indépendance des tourteaux de soja que nous importions avant massivement. Nous devons avoir cette indépendance en matière de production de protéines. L’autre grande activité, c’est les carburants bio, les carburants décarbonés, là aussi avec du recyclage, avec l’utilisation de plantes qui ne peuvent pas servir à l’alimentation humaine, qui sont utilisées ici pour fabriquer des carburants bio, lesquels seront intégrés dans les carburants classiques. C’est une vraie avancée, c’est un facteur de compétitivité et c’est un facteur d’indépendance. Ce que prouve ce site de Saipol, c’est que l’on peut parfaitement conjuguer climat et croissance. Lutte contre le réchauffement climatique, décarbonation de l’économie et compétitivité de l’économie. C’est exactement ce que nous voulons porter avec le Président de la République et la Première ministre dans les mois et années à venir : je présenterai un projet de loi sur l’industrie verte dans quelques semaines. Pourquoi, parce que la transition climatique est une opportunité formidable pour réindustrialiser la France : nous avons tellement de savoir-faire, d’innovations, de capacités d’imagination et de détermination à réussir cette décarbonation, que ce sera une opportunité pour le plus rapidement possible réindustrialiser la nation française. La chaudière biomasse notamment ici est très intéressante : c’est une économie vertueuse, un cycle fermé sans déperdition de chaleur. C’est aussi un exemple pour d’autres sites industriels. Après, tout cela coûte cher, je souhaite que pour toute l’industrie, quand il y a un acte de décarbonation, cela puisse s’accompagner d’un soutien financier, public ou privé, pour accélérer cette décarbonation », a précisé le ministre en marge de sa visite.
Echanges avec les industriels du territoire
Le ministre Bruno le Maire a interrogé ces chefs d’entreprises et écouté leurs remarques : « je souhaite regarder avec vous comment accélérer la décarbonation de l’économie et faire en sorte que la transition écologique soit le moyen d’accélérer la réindustrialisation de la France. Je pense que nous avons une opportunité historique. Je souhaite que vous me disiez quelles sont pour vous les clefs de cette réindustrialisation ». Le ministre a notamment soulevé le délai de construction d’une usine qui serait de 2 ans en France, là où il serait de 8 mois dans d’autres pays. Il a également soulevé la question de la rentabilité de certaines productions décarbonées : « disons les choses comme elles le sont, cela n’est rentable que parce qu’il y a une fiscalité qui représente plusieurs milliards d’euros, qui aide à la commercialisation de ces produits », a précisé Bruno le Maire. Cette fiscalité permettrait de garantir une certaine autonomie du pays. La commande publique étant le 3e élément permettant, selon le ministre d’accompagner cette décarbonation.
Autour de la table, industriels, université, éducation nationale, élus, institutionnels ont tour à tour pris la parole et partagé leurs points de vue ou leurs interrogations. Le ministre a précisé dans son introduction qu’il « fallait opérer une véritable révolution mentale dans l’éducation nationale. Je pense qu’il est indispensable de montrer à quel point les métiers de l’industrie sont des métiers propres, porteurs et bien rémunérés. Pour que le problème du pouvoir d’achat soit réglé, il faut que le travail paye : c’est bien souvent le travail qualifié et le travail industriel. L’industrie tire les salaires vers le haut. Nous devons revaloriser ces filières, ces métiers porteur d’avenir ».
Agnès Fichard Caroll, vice-présidente de l’Université en charge de la formation, a expliqué « nous constatons que les jeunes veulent des métiers porteurs de sens. Nous devons associer les métiers de l’industrie avec cette demande. Nous réfléchissons à des formations plus adaptées aux besoins : des liens avec certaines entreprises et une offre de formation que nous revisitons : vers des bacs + 3 et des bacs +5 pour les ingénieurs, ce sont des demandes des entreprises. Il y a une pénurie d’attrait des métiers technologiques, scientifiques, une baisse notable et globale et notamment pour les filles. Nous travaillons également le lien avec les lycées. Nous rencontrons des difficultés sur le volume d’enseignants-chercheurs et sur l’encadrement ». Florence Lambert, présidente de Genvia, rebondit sur ce point : « il faut susciter très tôt des vocations avec la preuve par l’exemple en ouvrant les usines, en mobilisant beaucoup plus autour des semaines de l’industrie par exemple. Nous devons conjuguer l’envie de pousser la porte de l’usine et l’envie de trouver un sens : avoir une mobilisation de l’ensemble des industriels ». Genvia est positionnée dans l’hydrogène : « la France a tout pour réussir dans ce secteur. Mes inquiétudes concernent le tissu industriel : nous démarrons sur une filière et nous devons reconstituer ce tissu. Je pense essentiellement au segment des équipementiers. Nous avons la nécessité de développer des PME et ETI pour faire les équipements qui vont permettre de garder la compétitivité de ces technologies », confie la présidente.
« La région académique se mobilise quand vous annoncez la réindustrialisation du pays, notamment grâce à France 2030. Nous sommes partie-prenante de l’université au collège dans le plan régional censé architecturer toute une filière de formation et de sensibilisation à l’hydrogène. Nous travaillons avec Genvia également : nous allons implanté une section bac pro pilote ligne de production dans un lycée proche de l’usine, afin d’accompagner les besoins en main-d’œuvre. Nous le faisons dans l’hydrogène, dans le nucléaire, dans les bios médicaments à Toulouse. Nous sommes très mobilisés. Nous travaillons également avec les campus des métiers des qualifications et à Sète notamment, nous préparons un dossier de labellisation de campus sur l’économie circulaire, dans le recyclage et la valorisation des déchets industriels et naturels », a détaillé Mickaël Duchiron, représentant le Rectorat.
Vincent Usache, directeur général de Microphyt, société qui produit des ingrédients naturels issus de microalgues, a expliqué sa situation : « nous sommes à la fois une activité industrielle verte, des ‘agriculteurs de la mer’, et transformateurs de ces microalgues. Nous avons su développer une technologie propriétaire, unique au monde, qui nous permet de fabriquer des ingrédients qui sont utilisés dans le domaine de la nutrition santé et des cosmétiques. La société L’Oréal vient d’entrer dans notre capital. L’industrie de la nutrition et de la beauté fait face à des changements massifs de pratique. A l’horizon 2025/2030, 85% de leurs produits finis devront être des produits naturels et durables. Donc, dans 50 ans, l’industrie sera verte ou ne sera pas. Nous avons aujourd’hui plus de demandes que de capacité de faire, mais nous avons obtenu les financements pour industrialiser notre système. Notre plan d’investissement est de plus de 30 millions d’euros, dont 7 millions sont déjà engagés. Nous faisons face à deux problèmes : les autorisations réglementaires locales qui n’arrivent pas en moins de 2 ans alors que nous avons anticipé 18 mois avant les demandes. La réglementation européenne pour nos produits est longue : aux États-Unis, nous avons obtenu une réponse en 75 jours, en Europe, nous attendons depuis 4 ans pour un même produit et une même sécurisation ».
Pour Jean-Philippe Puig, directeur général d’Avril, « nous avons encore des progrès à faire sur la commande publique : les États-Unis par exemple ne se gênent pas du tout pour développer leurs entreprises américaines en faisant des commandes publiques. Pourquoi en Europe et en France, nous n’avons pas des cahiers des charges de commandes publiques qui favoriseraient les entreprises françaises ? Sur la partie environnementale, nous parlons beaucoup de décarbonation, il y a aussi la communication : la formation du consommateur sur les étiquetages, les normes, là nous avons aussi du retard par rapport à nos collègues européens ».
Loïc Perrochet, installé dans la pépinière Flex à Sète, construit des hydravions avec sa start-up : « le souci que je rencontre concerne le coût de production d’un prototype. Nous ne rentrons dans aucune case et n’arrivons pas à trouver des soutiens financiers pour développer ce prototype. Nous avons besoin de 1,5 million d’euros pour faire voler cet hydravion avant la fin de l’année. Nous souhaitons installer l’usine à 500m d’ici et aurons dans 5 ans une centaine d’emplois pour construire entre 40 et 50 hydravions par an ». Le Ministre a promis de se saisir du dossier et « d’essayer de trouver une solution à M Perrochet. Le financement aujourd’hui n’est pas le problème numéro 1. On doit pouvoir vous régler ce problème-là ».
Philippe Malagola, le président du Port de Sète, a voulu parler de l’accès à la recherche et l’innovation : « nous nous rendons compte que nous faisons face à une transition écologique extrêmement rapide. Le Port a été primé plusieurs fois. Comme vous le disiez, ce n’est pas l’accès au financement qui est forcément le plus difficile. Nous y sommes arrivés, et près de la moitié des 500M€ d’investissement du port ces dernières années ont été faits par les industriels, pour l’autre moitié, c’est la puissance publique. Là où nous rencontrons des difficultés, c’est d’accéder facilement à la recherche et l’innovation. Nous avons rencontré l’université et avançons, mais nous devons trouver un moyen pour renforcer ce lien pour que des établissements de taille moyenne puissent avoir accès à l’innovation. Les Pôles de Compétitivité étaient faits pour cela, mais c’est plus un accès pour les grandes entreprises et les universitaires que pour des structures économiques de taille moyenne ». Philippe Combette, vice-président de l’université en charge des partenariats a lancé le sujet du lien chercheurs-industriels : « nous avons un contraste fort avec un fort taux de pauvreté en même temps qu’un fort dynamisme de création de start-up. C’est remarquable et la Métropole de Montpellier par le BIC est reconnue au niveau mondial. Nous avons donc les capacités de projeter le monde de la recherche vers des sociétés, quelles qu’elles soient. Nous arrivons à fédérer les efforts et les structures de valorisation de la recherche et de transferts technologiques. Sur l’Est de la région Occitanie, il y a ce côté TPE, PME, Start-up et nous visons au niveau du PUI montpelliérain entre 25 et 30 start-up par an pour un potentiel de 5 000 chercheurs. Ce qu’il faut savoir, c’est que dans ces 5 000 chercheurs, très peu ont une appétence pour l’innovation pour le contact direct avec les industriels. Dans mon laboratoire, je ne dépasse pas 20% de mes collègues qui font de la valorisation. Il y a ici un vrai sujet national : pourquoi les chercheurs, fonctionnaires d’état, n’arrivent pas encore à passer le cap vers l’industrie ? Il y a deux mondes qui se regardent. L’énergie est présente, elle a besoin d’être canalisée. » Bruno le Maire est « ennuyé. C’est un sujet que nous avons parfaitement identifié il y a 6 ans. Nous avons fait des choses dans la loi Pacte, visiblement ce n’est pas suffisant. C’est une caractéristique française, il y a un mur entre la recherche et le développement industriel. Nous avons levé des obstacles, mais pas tous. Faites-moi passer toutes les propositions, y compris les plus iconoclastes, qui permettraient de faire tomber ce mur. C’est une de nos faiblesses majeures. »
Nicolas Jerez, le Ceo de Bulane, traitement de l’hydrogène sous forme thermique, « nous avons imaginé que cette chaleur pouvait être une énorme opportunité pour la filière hydrogène. Nous avons résolu le problème du rendement et la compatibilité avec des systèmes existants. Si l’on veut traiter la décarbonation de l’industrie, il suffirait peut-être de traiter ces brûleurs pour y pousser l’hydrogène, capable de remplacer le combustible. On parle de millions de brûleurs en Europe, de centaine de milliers en France. Nous sommes capables d’hybrider, de connecter au réseau électrique et donc d’électrifier indirectement, sans avoir à la changer. Bulane a installé un électrolyseur dans une distillerie LMVH de Cognac et se prépare à déployer 3 000 électrolyseurs pour décarboner au moins 50% de la distillerie française de Cognac. C’est juste un ‘micromarché’ car on parle de 240 térawatts d’énergie fossile qui brûle chaque année en France. L’hydrogène est peut-être une clef de voûte entre de vrais usages d’hydrogène existants, une technologie que l’on peut déployer tout de suite et l’enclenchement d’une industrialisation massive en nombre d’électrolyseurs ». 1 800 électrolyseurs ont été mis sur le marché en 5 ans. Bulane et son équipe de 20 personnes viennent de lever 14 millions d’euros. Un projet de factory vient d’être lancé.
François Commeinhes a conclu les échanges en remerciant le ministre « d’avoir choisi ce site à Sète pour cette visite de la promotion de la décarbonation. Il n’y avait pas de meilleur choix puisque nous sommes dans le triangle d’or de la décarbonation ici avec une usine en pleine mutation, avec à côté une usine de valorisation énergétique produisant de la vapeur d’eau utilisée en circuit court, et avec la nouvelle station d’épuration pour réutiliser l’eau d’assainissement qui sera aussi réutilisée par le groupe Avril et son usine Saipol Sète (300 000 m3). Nous sommes en pleine économie circulaire ! »