Sète : Jordan Yuste, « Mon objectif est de procurer du plaisir et du bonheur à ceux qui franchissent la porte de L’Arrivage. »
Une plongée dans l'univers culinaire du "viking" de l'île singulière, un parcours atypique entre reconversion professionnelle à étoile Michelin en passant par Top Chef.
Pourriez-vous nous en dire davantage sur votre parcours ?
J.Y. : « J’ai entamé ma reconversion professionnelle en 2016 et j’ai décroché mon CAP en alternance grâce à une formation dispensée par le GRETA, après avoir quitté l’armée. La formation a duré 6 mois, et après son achèvement, j’ai eu l’opportunité d’intégrer un restaurant gastronomique où j’ai travaillé aux côtés de Jérôme Nutile, chef étoilé et meilleur ouvrier de France. Commencer ma carrière culinaire à 27 ans m’a parfois donné un sentiment de complexe d’infériorité par rapport à ceux de ma génération ou même plus âgés, bénéficiant d’une expérience bien plus vaste que la mienne. Cependant, cette expérience de 13 mois aux côtés du chef Nutile m’a énormément enrichi et m’a permis de progresser rapidement dans le métier. Après cela, j’ai travaillé dans un autre restaurant à Mèze. Le chemin vers l’ouverture de mon propre restaurant n’a pas été facile, l’obtention de financements auprès des banques a été un défi. À cette époque, le secteur de la cuisine gastronomique ne suscitait pas un grand engouement. Malgré ces difficultés, j’ai ouvert L’Arrivage le 21 avril 2017. »
Pouvez-vous nous présenter votre restaurant ?
J.Y. : « La première intention derrière mon restaurant était de le rendre assez “brut”, ce qui me caractérise. Je n’ai pas cherché à créer un établissement avec une décoration extravagante. Il y a environ deux ans et demi, j’ai évolué d’une cuisine plutôt brute vers une cuisine plus bistronomique, mettant fortement l’accent sur les produits de la terre et de la mer. Ma participation à Top Chef a été une expérience enrichissante qui m’a permis de voir la cuisine sous un nouvel angle et cela a marqué le début de l’évolution de ma cuisine. J’ai commencé à m’orienter vers une cuisine plus moderne, plus structurée, avec une réflexion plus approfondie. Nous cuisinons exclusivement des produits de la Méditerranée, et avons également progressivement réduit la présence de viande dans notre menu. Cela va dans le sens de la cohérence de notre établissement et de notre époque. »
Quel est votre identité culinaire ?
J.Y. : « Mon influence se traduit par une cuisine iodée et méditerranéenne. Étant originaire de Castres, j’ai toujours été influencé par la cuisine terre et mer. J’ai décidé de revisiter des plats traditionnels qui sont généralement à base de viande, mais en leur donnant une touche “mer”. Par exemple, j’ai créé un petit salé de poulpe à la place du traditionnel petit salé de cochon. Les textures du poulpe permettent de retrouver des sensations similaires à celles de la poitrine de cochon dans un petit salé : le gras légèrement croustillant et la tendresse au cœur de la chair. Un autre exemple est la macaronade, un plat emblématique de Sète, qui est normalement à base de bœuf. Nous avons décidé de remplacer la viande, par le « bœuf de la mer » qui est ici le thon. Ainsi, nous avons créé la « macathonade ». Pour moi, la cuisine doit être entièrement faite maison. Cela signifie que je réalise tout moi-même, y compris le pain, les pâtisseries, les glaces…. En somme, tout ce que vous dégustez à L’Arrivage a été entièrement transformé par nos soins, à partir d’ingrédients bruts issus de la mer, de la terre ou des arbres. »
6 ans après l’ouverture de l’Arrivage, comment avez-vous réagi lorsque vous avez appris que vous aviez obtenu une étoile Michelin ?
J.Y. : « Pendant les 15 jours qui ont suivi, je n’ai pas réellement réalisé que j’avais décroché une étoile. C’est une immense fierté pour moi. Par la suite, je me suis rendu compte que j’étais quand même fier de mon travail et de ce que j’avais accompli… surtout en étant seul en cuisine. Après l’obtention de l’étoile, nous avons connu un afflux considérable de clients, mais durant la saison hivernale, nous faisons face à une période délicate où la fréquentation est moindre. Mon restaurant présente quelques défauts, la salle est petite, et je ne dispose pas de vaisselle de créateur, entre autres, mais je pense que le guide Michelin s’est concentré sur l’essence de ma cuisine, la cohérence de mes assiettes, le goût, la saveur, les textures, ainsi que le rapport qualité-prix. »
Un an après, quel impact cette étoile a-t-elle eu ?
J.Y. : « Il y a eu un changement dans la clientèle, elle est devenue un peu plus exigeante aujourd’hui, avec un petit pourcentage de clients plus expérimentés. L’obtention de l’étoile m’a également aidé financièrement, en me permettant de renégocier mon crédit. Cette reconnaissance est d’autant plus précieuse après la période difficile de la pandémie de Covid, où la situation financière de l’entreprise a été mise à rude épreuve. Nous sommes à Sète, le pouvoir d’achat n’est pas comparable à celui de Paris ou Montpellier, donc il est important de rester cohérent. Pour moi, il est essentiel de proposer une cuisine accessible à un large public. Demain, je ne serais pas légitime pour proposer un menu à 300 euros. Je pense qu’il est important de garder les pieds sur terre. »
Comment gérez-vous la pression associée à la possession d’une étoile ?
J.Y. : « Je ne ressens pas vraiment de pression car je considère simplement que je suis là pour cuisiner. Ayant quitté l’armée, je ne suis plus confronté à des situations de guerre ou à des enjeux de vie ou de mort. J’aime véritablement ce que je fais, c’est une passion pour moi. La cuisine est une partie intégrante de ma vie, une source de réflexion constante, que ce soit le jour ou la nuit. Plutôt que de ressentir la pression liée à l’étoile Michelin, je préfère mettre tout mon cœur, toute mon énergie et toute ma sincérité dans ma cuisine. Je cuisine pour tous de la même manière, avec la même attention aux détails et la même passion, que ce soit pour mon fils ou pour des personnes que je ne connais pas. »
Vous avez reçu d’autres distinctions culinaires ?
J.Y. : « Après l’ouverture du restaurant, j’ai rapidement obtenu quelques distinctions, en 2018 j’ai été nommé Table Moderne par le Fooding. En 2019, j’ai été Jeune Talent de la région par le Gault & Millau, et j’ai également eu l’opportunité de participer à l’émission Top Chef. Pour moi, cette expérience a été davantage une opportunité d’apprentissage qu’un simple concours. Le fait de ne pas avoir suivi de formation dans une grande école de cuisine et de me retrouver là, entouré de cuisiniers et avec un accès à tout ce matériel, c’était comme si on avait envoyé un enfant dans un magasin de jouets en lui disant “Amuse-toi bien”. En 2021, j’ai été à nouveau invité par le Gault & Millau pour recevoir la distinction de Jeune Talent National. Et enfin, le 6 mars 2023, j’ai obtenu ma première étoile au Guide Michelin. »
4 ans après votre participation à Top Chef, et alors que la quinzième saison débute cette semaine, vos fans continuent-ils toujours de venir voir leur “viking” préféré ?
J.Y. : « Samedi dernier, une jeune femme a célébré ses 25 ans au restaurant. Elle venait de Saint-Étienne avec ses parents, qui avaient réservé un week-end à Sète spécialement pour dîner au restaurant. Ce qui est amusant, c’est que le père nous a envoyé un e-mail en demandant si le chef serait présent. Ma réponse, a été : oui, je serais là, car si je ne suis pas là, le restaurant sera fermé ! Son père m’a raconté qu’elle était une grande fan, qu’elle avait suivi mon parcours dans Top Chef. Lorsque j’ai appris qu’ils venaient de Saint-Étienne, j’ai réalisé l’ampleur médiatique et l’impact significatif de Top Chef. Le fait d’avoir fait tout ce trajet pour venir manger dans mon restaurant m’a vraiment touché. À Paris, être médiatisé aide à se démarquer car la concurrence y est féroce, les idées affluent et de nouveaux établissements ouvrent rapidement. Mais dans une ville plus petite, cette médiatisation est d’autant plus précieuse. Si vous n’êtes pas connu grâce aux réseaux sociaux ou à la télévision, les périodes difficiles peuvent être très éprouvantes. Il y a environ deux mois, pendant deux jours, nous n’avons eu aucun client. J’avais préparé du pain et des brioches, et j’ai dû tout jeter à la poubelle. Sans la médiatisation de Top Chef et sans la présence sur les réseaux sociaux où je mets en avant mon restaurant, je pense que la situation serait encore plus difficile. C’est pourquoi je suis toujours reconnaissant pour cette opportunité qui m’a été offerte. »
J’ai eu deux fois l’occasion de déjeuner à l’arrivage à ses débuts, sans jamais avoir été déçu.cuisine inventive et originale .seul bémol la difficulté de réserver une table uniquement par internet.
JB Sète