Sète : l'histoire poignante de "L'Exodus" inscrite dans le marbre du môle Saint-Louis
Plusieurs centaines de personnes se sont réunies, ce lundi 5 juin 2023, sur le môle Saint-Louis de Sète pour assister à l'inauguration des deux voies portuaires baptisées "Exodus 1947" et "Commissaire Leboutet". Deux passagers survivants ont témoigné de leur histoire.
L’émotion était palpable, ce lundi 5 juin, sur le môle Saint-Louis de Sète. En fin de matinée, plusieurs centaines de personnes, dont des collégiens et lycéens sétois et montpelliérains, se sont rassemblées pour honorer la mémoire des passagers de l’Exodus – 4 554 femmes, enfants et hommes juifs venus de toute l’Europe, rescapés des camps de la mort, qui embarquèrent de cet endroit le 10 juillet 1947 pour rejoindre la Terre promise – ainsi que celle du commissaire Laurent Leboutet, dont l’action en faveur de ces réfugiés fut prépondérante.
En baptisant deux voies portuaires “Exodus 1947” et “Commissaire Leboutet”, la Ville de Sète souhatait inscrire dans le marbre cette page de l’histoire à l’endroit même où ces milliers de rescapés embarquèrent, il y a 76 ans, pour Israël. Avant le dévoilement des plaques baptismales, le petit fils d’Eva Golgevit a interprété “Le chant des déportés”, écrit par sa grand-mère pendant sa déportation à Auschwitz, avant de laisser le micro au baryton sétois Jean-Michel Ballester qui a fait résonner la chanson éponyme dédiée à ce navire, “Exodus”, magnifiée en son temps par Edith Piaf.
“J’avais 12 ans quand je suis montée à bord”
L’émotion est montée d’un cran lorsque que Perla Danan, présidente régionale du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France) et animatrice de la cérémonie, a passé la parole à deux des trois derniers survivants passagers de “L’Exodus” venus spécialement d’Israël pour témoigner.
Bien que voûté par le poids des années, Pnina Gavish a quitté son kibboutz pour venir partager son histoire à l’endroit même où elle embarqua pour Israël en 1947. “J’avais 12 ans quand je suis montée à bord de l’Exodus avec ma soeur qui en avait 16”, a-t-elle déclaré en hébreu, épaulée par une traductrice, se disant “extrêmement émue de se retrouver au milieu de tous ces gens extraordinaires”. Son témoignage en images :
Puis ce fut au tour de Moshe Rider de faire entendre son histoire. Il avait 7 ans quand il a embarqué avec ses parents et sa sœur de 2 ans sur l’Exodus. “Je me souviens de l’horrible sensation de surpeuplement qui régnait sur le bateau. Il y avait des milliers de personnes à bord. Je me souviens d’une énorme file d’attente pour les toilettes. De plus, dans le ventre du bateau, il y avait des couchettes. La distance entre elles était d’environ 60 cm. Je me souviens d’une situation où une femme est morte sur le navire et son corps a été glissé dans la mer depuis le pont. J’était encore un petit enfant, je n’ai pas compris le sens de ce que j’ai vu”, a-t-il dit, expliquant que c’était “très important [pour lui] d’être ici”, ce lundi 5 juin 2023, et qu’il s’agissait de “l’un des jours les plus importants de [sa] vie”.
Isaac Rojman est né en Israël mais porte en lui la mémoire de son père, Mordehai Rojman, l’un des leaders à bord de “L’Exodus”. “Mon père me racontait tout le temps ce qu’il s’était passé”, a-t-il confié au public, expliquant que ce dernier avait essayé de convaincre les autorités françaises de laisser partir le bateau. “Pour lui, L’Exodus était le bateau de la liberté.”
Combattre le “populisme rampant, en Europe, en France”
Les représentants officiels des autorités publiques – ambassadeur d’Israël en France, sous-préfet, etc. – ainsi que le président du Crif, Yonathan Arfie, se sont ensuite succédé sur la scène pour rendre hommage aux passagers et souligner le rôle essentiel du devoir de mémoire, surtout dans une époque où les discours xénophobes et, “disons-le, pour paraphraser Sébastien Denaja – représentant Carole Delga, la président de la région Occitanie, à cette cérémonie -, aux relents d’antisémitisme, de fascisme et de pétainisme” se font entendre aux quatre coins de l’Europe.
“Madame Simone Veil nous le rappelle, évoquant “le poids effrayant du vide que l’oubli n’a pas le droit de combler”, a lancé le maire de Sète, François Commeinhes. Et de souligner : “Imaginer qu’il n’est plus primordial de transmettre l’Histoire, nous rendrait complices de ceux qui ont produit dans le passé l’inacceptable. Mais aussi complices aveugles de ceux, politiques, intellectuels, qui, aujourd’hui, s’alimentent d’une actualité difficile, pour véhiculer, sous des propos parfois policés, racisme, antisémitisme, xénophobie, haine, terreaux d’un populisme rampant, en Europe, en France.”
Accompagné de Moschi Rider et Pnina Gavish, le maire de Sète a ensuite dévoilé les trois plaques installées sur le môle Saint-Louis – “Exodus 1947”, “Comissaire Leboutet” et une autre équipée d’un QR code donnant accès à toute l’histoire de cette épopée – inscrivant dans le marbre l’importance de transmettre et d’entretenir cette mémoire collective pour les générations futures.