Spéculation boursière : les chocolatiers dégustent
Comment les artisans de l’or noir peuvent-ils continuer à faire leur beurre ? Si Noël rime bien souvent avec chocolats, la hausse de 190% du cours du cacao à la bourse de New-York laisse un goût amer aux consommateurs… et aux producteurs.
“C’est une tendance que le grand public découvre aujourd’hui mais nous, on le savait et on l’attend depuis 10 ans, explique le Bernard Manguin, artisan chocolatier, fondateur et dirigeant de la Chocolaterie du Blason, à Clermont l’Hérault. Le début de cette crise est dû au décalage entre l’offre et la demande et est aujourd’hui accentué par la spéculation”. A la bourse de New-York, le prix de la tonne de cacao est passée d’un peu plus de 3 000 dollars à plus de 12 100 dollars en l’espace d’un an, atteignant son pic en avril 2024. Aujourd’hui le cours se situe entre 8 000 et 10 000 dollars.
Pour maintenir la qualité, “impossible de tricher”
Dans le département de l’Hérault, les chocolatiers et boulangers subissent de plein fouet cette flambée des prix. Tous n’appliquent pas les mêmes méthodes pour y faire face. Chez Yves Thuriès, “nous avons augmenté nos prix de 20% par rapport à 2023, explique le service communication. Nous avons nos propres plantations à San Fernando en Equateur, 90% de notre production de chocolat provient de ces fèves. Mais nous sommes obligés de nous aligner au cours du cacao”. Chez le double Meilleur ouvrier de France, la qualité reste une priorité : “notre composition n’a pas changé”.
A la chocolaterie du Blason, le choix a été fait de peu répercuter la hausse. “On a gardé notre augmentation annuelle de 1,5 à 2%, mais pas plus. Une telle hausse est impossible à répercuter. Surtout que nous avons subi une double peine avec dans le même temps la montée du prix de l’électricité”, ajoute Bernard Manguin. Pour maintenir la qualité, “impossible de tricher, selon l’artisan chocolatier. Il n’existe pas d’astuce pour utiliser moins de cacao dans l’artisanat, contrairement à l’industrie qui le fait depuis longtemps”. Néanmoins, cette année, l’artisan privilégie les chocolats pralinés, composés en partie de fruits secs, plutôt que ceux à base de ganache. Il a également baissé le grammage de ses paquets, passant de 150 grammes à 135. “Mais c’est la limite de notre capacité d’action pour maintenir la qualité”, ajoute-t-il.
Dans les boulangeries artisanales, le problème se pose aussi. Au Four et au Pétrin, à Montpellier, Nicolas et Camille Aubry ont fait le choix de demander à leur clients comment ils préféraient voir se répercuter la hausse des prix. “Soit on passait le pain au chocolat de 1,30 à 1,50 euros, soit on ne mettait plus qu’une barre de chocolat, explique l’artisan boulanger. Nous avons été surpris, mais ils ont choisi de payer un peu plus”. Quant aux bûches de Noël, “nous avons dû monter un peu nos prix aussi. On le fait à contre-cœur mais on a pas le choix : la boîte de chocolat que j’achetais 7 euros est passée du jour au lendemain à 21 euros”.
“Les gens ont un pouvoir de décision quand ils font leurs achats”
Est-ce la fin des chocolats de Noël ? Non, selon Bernard Manguin, mais le mode de consommation va changer. “La classification entre les différents chocolats et les différentes façons de consommer va s’amplifier. On va garder le mauvais chocolat dans l’industrie avec des prix toujours tirés vers le bas, une exploitation des planteurs accentuée, des matières grasses végétales ajoutées, et cetera”. En face, on trouvera quelques pépites, quelques filières “de très grand cacao. Les chocolatiers français sont à la pointe à ce niveau là avec des démarches comme ‘Les chocolatiers engagés’, une filière mise en place par notre syndicat avec le Cameroun”.
Chez Yves Thuriès, la plantation de San Fernando est labellisée “Rainforest” et répond donc à certains engagements environnementaux et sociaux : pas de déforestation, pas de déformation de forêt primaire, usage de l’eau raisonné, travail des enfants interdit, salaire supérieur au SMIC équatorien, affiliation à la sécurité sociale… Car c’est bien là qu’est le nerf de la guerre : “les planteurs ne gagnent pas leur vie et ne la gagneront pas tant qu’on sera dans ce système hyper-industrialisé, ajoute Bernard Manguin. C’est comme ici avec le lait. Les gens sont contents de manger de bons yaourts mais nos agriculteurs se suicident”.
Il s’agit donc d’alerter le grand public. “Pour sauver cette filière de qualité, c’est le consommateur qui doit faire la différence en allant vers les artisans et en posant des questions, insiste le chocolatier de Clermont l’Hérault. Ceux qui s’enrichissent de cette situation sont les traders et les industriels. On est face à des grosses sociétés qui font du greenwashing. Mais les gens ont un pouvoir de décision quand ils font leurs achats”.