Hérault : tranche de vie à la Banque alimentaire
Alors que les équipes ont en ligne de mire la grande collecte de fin novembre, le président de la Banque alimentaire de l'Hérault Régis Godard a reçu la rédaction dans les 1 000 mètres carrés prêtés par l’entreprise Pomona, et nous a guidés à l’intérieur du centre logistique de l’aide alimentaire où s’activent toute l’année 190 bénévoles et 6 salariés.
Arrivage à la Banque alimentaire © Mathieu Weisbuch
Régis Godard affiche une mine joviale dans la grande salle de réunion. Au mur, une carte du département mouchetée de points noirs situant les partenaires de la Banque alimentaire (BA) de l’Hérault. Ce sont des CCAS et des associations qui finissent le travail de l’aide alimentaire en distribuant les denrées aux bénéficiaires. Car la BA n’est jamais en contact avec les personnes à qui ces milliers de tonnes de produits sont destinés. “La Banque alimentaire, c’est de la logistique pure. Nous recevons des produits, les trions, les stockons et les distribuons à des partenaires qui, eux, vont les distribuer aux bénéficiaires”, précise Régis Godard.
Secs, frais et surgelés
Des palettes, des palox, des Caddie®et des cagettes convoient ici et là les produits de l’aide alimentaire héraultaise. Les plus nombreux sont dits secs (non-périssables), d’autres sont frais, certains surgelés… chaque aliment a sa place. Ici, des quais où les camions ouvrent grand leurs portes arrière pour charger ou décharger les produits. “Lodève va arriver” crie une voix. A côté, sur une longue table, des registres où se succèdent les petites mains de la Banque alimentaire pour noter les arrivées, les quantités, les poids, les provenances, les destinations…
Les produits secs s’amoncellent parfois jusqu’au plafond dans une immense salle de stockage. Des montagnes de pâtes, de briques de lait et de boîtes de conserve posées sur des palettes attendent patiemment leur nouvelle destination. Jacques, le conducteur de Fenwick, vient continuellement ajouter ou retirer les blocs d’un gigantesque Tetris de produits alimentaires. Ce jour-là, les étagères sont loin d’être pleines. Bénévole ici depuis huit ans, Jacques a son permis pour conduire ce type d’engin.
Juste à côté, derrière un rideau à lanières, les produits frais. Des cagettes contiennent les commandes déjà conditionnées pour les partenaires de la BA. Au-dessus, une affichette annonce le destinataire, le type de produit, la quantité et parfois leur durée de vie. On peut lire : “CCAS Lunel, Fruits, 283 bénéficiaires”. Un travail de fourmis pour lequel deux jeunes filles en service civique ont été mobilisées. Une jeunesse qui détonne un peu. “Sur les 190 bénévoles, la plupart sont grands-parents, glisse Régis Godard. Très peu ont moins de soixante ans. Les jeunes sont encore plus rares. Heureusement, il y en a toujours en service civique”.
Europe, État et ramasse
Le principal donateur de la BA est l’Europe, qui livre les produits secs. Le budget de 869 millions d’euros destiné à la France pour la période 2021-2027 a été voté en 2020. Il bénéficie aux 4 mousquetaires de l’aide alimentaire françaises que sont les Restos du Cœur, la Fédération française des Banques alimentaires, le Secours populaire et la Croix-Rouge française. “L’Europe nous donne une liste de produits avec des tarifs, explique le président. Nous passons commande de tant de palettes de riz, de haricots verts, etc. L’Europe ne nous donne pas d’argent. En fonction de nos commandes, elle défalque les sommes sur notre enveloppe. C’est la fédération, à Paris, qui centralise le tout. Ensuite, FranceAgriMer [établissement national des produits de l’agriculture et de la mer, ndrl] nous livre.” Puis, à son tour, la BA communique à ses partenaires quinze jours à l’avance la liste des produits qui seront disponibles, et les invite à passer leurs commandes.
L’autre donateur est l’État. Son apport financier ne concerne que les produits achetés par la BA aux épiceries sociales et solidaires. Enfin, il y a la ramasse. Tous les matins, dès 7 heures, 5 camions frigorifiques partent en tournée dans les grands magasins pour glaner les invendus. “Nous récoltons beaucoup moins qu’il y a quelques années, car les magasins ont nettement amélioré leur gestion. Les derniers camions partis pour la ramasse reviennent vers 10 heures du matin et à 14 heures, tout est déjà parti. C’est du consommable rapidement. De plus, nous avons désormais le plus souvent des produits à consommer en J+1 alors qu’avant on avait beaucoup de J+3 et +4.”
“La douloureuse”
Le site de la Banque alimentaire de l’Hérault occupe 1 000 mètres carrés gracieusement prêtés par l’entreprise Pomona à côté de l’aéroport de Fréjorgues. Une aubaine, mais dont la fin semble proche à en croire Régis Godard, qui rappelle que le bail actuel n’est que d’un an. “Une véritable épée de Damoclès” tranche-t-il, la mine soucieuse. Et si son sourire revient quand il aborde la question des ressources humaines, les frustrations ne manquent pourtant pas sur ce chapitre. Sur le site de Montpellier, l’association salarie 6 personnes, dont une secrétaire, un cadre qui supervise, un responsable des quais, un conducteur de Fenwick et une personne dédiée aux bon de livraison. Et les 190 bénévoles, eux, œuvrent quasiment à tous les étages. Sauf aux postes à responsabilité. “Ça ne se trouve pas facilement” concède le président de la BA. Si dernièrement il a enfin trouvé un comptable, il lui manque toujours un responsable des associations. Une lacune qui pèse, car cet aspect doit être géré avec un certain professionnalisme. “Avec les associations, je me mets dans un rapport client-fournisseur”, explique-t-il
Une posture justifiée par le fait que les partenaires (associations ou CCAS) sont la principale source de revenus de la BA. Chaque trimestre, elle leur envoie “une douloureuse” calculée sur leurs commandes. Ces sommes représentent 55 à 60 % des recettes de la BA. Le reste provient des collectivités dont les dons “ont tendance à baisser après être restés au même niveau pendant vingt ans” regrette Régis Godard. Enfin, la BA bénéficie de dons via des organisations comme le Rotary Club notamment.
Bénévoles et salariés
Régis Godard n’est pas à la BA depuis dix ans par hasard. L’humanitaire, il connaît. Revenu à Montpellier après une vie professionnelle et un début de retraite à Paris, il trouve ici l’occasion de continuer à être utile, à s’occuper et à avoir une vie sociale. “En arrivant, j’ai d’abord fait le chauffeur, puis du tri, de la gestion, et enfin, parce qu’il y avait besoin d’un président, on m’a dit ‘ça sera toi’. Cela dure depuis trois ans et demi” résume l’intéressé. L’ambiance lui plaît à la BA, contrairement à d’anciennes expériences dans l’humanitaire. Régis Godard a d’ailleurs sa théorie sur la cohabitation entre bénévoles et salariés : “s’il y a peu de bénévoles et beaucoup de salariés, ça se passe bien, et dans le cas inverse aussi. Mais à partir d’un certain ratio, c’est très difficile à gérer car les uns et les autres n’ont pas les mêmes objectifs de vie et cela peut créer des problèmes.”
Sur le site de la BA, devant les quais, un jeune homme s’active à laver et ranger les palox. Tom vient de signer son CDI après un CDD de trois mois. “J’aime beaucoup mon travail, tout se passe très bien pour moi, reconnaît-il. Parfois il y a des coups de bourre et là, il faut en faire plus que les bénévoles, c’est normal”. Gilet orange fluo sur les épaules, Tom fait désormais partie d’une grande famille dont les membres changent régulièrement. Car faire du bénévolat sur le long terme reste l’exception. Mais, le turnover est toujours assuré et il permet encore aujourd’hui à la Banque alimentaire de poursuivre sa mission solidaire.