Vécu, Agde : Lise, "je me suis prostituée pour payer mes études"
Lise* est une quadragénaire brillante. Mariée et mère de 2 enfants, elle porte en elle un lourd secret : elle a dû se résoudre à se prostituer pour financer ses études.
Photo d’illustration © Freestocks / Unsplash
Une volonté farouche d’étudier
La vie n’est pas toujours rose pour les jeunes qui n’ont pas les moyens de financer leurs études. Lise fait partie de cette jeunesse désargentée ayant des rêves d’ascenseur social. Parfois, l’ascenseur social a des ratés, et il faut prendre des chemins détournés pour réaliser ses rêves professionnels. C’est ce qu’elle s’est dit lorsque, son bac en poche, elle a décidé de suivre des études d’économie coûte que coûte, à Paris Dauphine.
La décision était ambitieuse, sachant que ses parents ont immédiatement coupé les ponts avec elle, préférant qu’elle débute immédiatement une profession et qu’elle gagne de l’argent, au lieu d’en “gaspiller en étudiant”. Du coup, Lise s’est retrouvée du jour au lendemain à la rue, avec toujours la volonté d’étudier l’économie.
“Hébergée par une copine à Paris dès le mois de juillet, j’ai découvert qu’elle payait son appartement en vendant son corps. Cela m’a énormément choquée. Je n’aurais jamais cru cela d’elle. Je pensais qu’elle menait une vie plutôt rangée ! Mais elle m’a expliquée qu’elle n’avait pas eu d’autre choix, car, en arrivant à Paris, son petit ami, beau garçon et beau parleur, l’avait quittée. Elle s’était retrouvée avec un gros loyer à payer. Quasiment au même moment, une agence d’escort-girls avait pris contact avec elle. Elle avait saisi la perche qui lui était tendue” explique Lise.
La jeune femme enchaîne : “Je lui ai posé énormément de questions : comment se comportaient les hommes avec elle, combien elle gagnait, si elle réussissait vraiment à payer son loyer de cette façon… Elle semblait si positive sur sa ‘profession parallèle’ que plus elle m’en parlais, plus je me disais que cela pourrait être ma bouée de sauvetage. Si je gagnais suffisamment, je pourrais financer mon loyer et mes études à Paris… Mais j’étais pleine de doutes. Toutes les valeurs en lesquelles je croyais jusque-là se sont effondrées en quelques heures. Une chose était certaine : je devais me réinventer si je voulais poursuivre mon rêve”.
Se réinventer et tout mener de front
Lise entre donc à son tour en contact avec l’agence d’escorts. La sélection est rude, mais elle sait qu’elle peut compter sur son physique. Effectivement, elle est vite choisie. Lise se souvient : “Ma première passe a été une horreur. Le client avait beau être très gentil, j’étais si stressée que je tremblais comme une feuille. En rentrant chez moi, je me suis douchée pendant au moins vingt minutes. J’avais besoin de me sentir propre après ça. Ça avait été une épreuve, mais j’avais gagné en une heure une somme confortable, qui m’a permis de supporter ce que j’avais fait en échange”.
Elle affronte son destin avec philosophie : “Puis je me suis habituée… aux clients, au milieu, à gagner de l’argent ‘facilement’. J’ai très vite pu quitter l’appartement de mon amie et louer mon propre appartement. J’ai été acceptée à Dauphine. Quand les cours ont commencé, il a fallu que je jongle entre les cours, les devoirs et les passes. Ce n’était pas toujours évident. J’ai tenu comme ça plusieurs années, perdant de nombreuses heures de sommeil mais parvenant à financer ma vie d’étudiante parisienne. Certaines fois, j’ai voulu arrêter la prostitution, mais je ne me voyais pas devenir serveuse dans un bar ou donnant des cours à des gamins pour pas grand chose. J’avais un réel besoin que l’argent tombe régulièrement et suffisamment.”
Un soir surtout, après une très mauvaise expérience avec un client, Lise doute. “Il m’a tabassée, se croyant tout permis. J’ai frôlé la mort. J’ai arrêté deux semaines, n’ayant pas d’autre choix vu mon état, puis j’ai repris, par besoin d’argent”. Bien souvent, les injures pleuvaient, pendant ou après l’acte : “Ce n’était pas facile à vivre. Plus ça allait, plus je me trouvais nulle, sale…”
“Une fois, je me suis trouvée face au père d’un camarade de Dauphine. Il s’est trouvé bête quand il m’a reconnue. Quand notre petite affaire a été terminée, nous avons décidé de garder le secret. Aucun de nous n’avait intérêt à ce que ça s’ébruite”.
Une vie en décalage
Lise témoigne : “Souvent, je me sentais décalée par rapport aux autres étudiantes et aux étudiants. Je n’avais pas les mêmes préoccupations qu’eux. Ils pensaient à sortir, à faire la fête. Moi je n’étais que rarement disponible pour ça, passant mes soirées avec des clients… Puis est venu le moment où une petite voix dans ma tête m’a dit que je ferais mieux d’arrêter mes études, parce que finalement, être escort était un ‘métier’ rentable, même si c’était dur. C’est vrai, après tout, pourquoi m’embêter à tout vouloir mener de front ? Ce serait si simple d’arrêter de m’épuiser à tout faire en même temps”.
Lise a néanmoins gardé les pieds sur terre : “L’exemple d’une escort que j’avais rencontrée lors d’une soirée coquine m’a dissuadée de prendre cette décision. Elle-même avait arrêté ses études, menant une belle carrière d’escort, mais à 35 ans, plus aucun client ne voulait d’elle, préférant la chair fraîche, les jeunettes ayant la vingtaine. Cela m’a fait réfléchir. Evidemment, qui voudrait d’une ‘vieille’ alors que des jeunes se présentaient sans cesse sur le marché ? La concurrence est rude dans ce métier“.
La libération
Lise continue son récit : “Alors j’ai mené mes études jusqu’à leur terme. J’ai continué quelque temps à être escort, le temps de trouver un emploi rémunérateur dans une autre ville. Puis un jour, il a été temps pour moi de couper les ponts avec ce milieu. Je l’ai ressenti comme une évidence, une libération. Tout à coup, j’ai réalisé que j’avais été dans une cage pendant toutes ces années, comme prisonnière de mon style de vie tellement à part”.
Prise de recul
“Des années après, maman de deux enfants, je me dis que j’ai été complètement insensée d’être escort. J’ai vraiment couru des risques incroyables. Certaines n’en sont pas revenues, finissant droguées et/ou à faire le trottoir, voire SDF, avec des conditions de vie pitoyables. La copine qui m’a initiée est restée escort un certain temps, mais elle a mal fini. Elle est tombée sur un client qui l’a défigurée. Elle a fini par se suicider, n’ayant plus de quoi vivre… Les proxénètes sont des types particulièrement dangereux. J’ai eu la chance de tomber sur un réseau d’escorts et sur des clients pas trop dangereux. Mais pour rien au monde je ne recommanderais à une jeune fille de prendre ce chemin. D’ailleurs je parlerai de ce danger à mes enfants, quand ils seront plus grands. Je refuse qu’ils tombent dans ce piège”, conclut Lise.
*Lise est un prénom d’emprunt, notre témoin ne souhaitant pas être reconnue.