Vécu, Béziers : "l'une de mes amies a été violée pendant ma fête d'anniversaire"
Originaire de Béziers, Emilie a fait ses études à Paris avant de revenir vivre dans sa ville natale. Le week-end de son 25e anniversaire, à Paris, un drame s'est produit. Son amie Sophie a été violée. Elle raconte…
Photo d’illustration : © Alexander Popov / Unsplash
Violée dans un bar
“C’était pour mes 25 ans. Deux de mes amies de Béziers sont venues pour mon anniversaire à Paris, où je faisais mes études. Nous avions prévu de passer le week-end ensemble. L’une d’entre elles avait repéré un bar sympathique situé dans mon quartier, le Quartier Latin. Nous y avons passé deux soirées d’affilée. La première s’est très bien passée, mais la deuxième a été terrible”, explique Emilie.
Elle poursuit : “La soirée avait très bien débuté, les verres se sont enchaînés. L’ambiance était agréable, nous étions ravies, c’était un bel anniversaire. Mais l’une de mes amies, Carole, s’est sentie mal. Je me suis occupée d’elle pendant un bon moment, jusqu’à ce que je m’aperçoive que ma deuxième copine, Sophie, était partie aux toilettes. Nous avions décidé de nous accompagner mutuellement aux toilettes pour que jamais l’une de nous trois ne reste seule. Mais voyant que nous ne pouvions pas l’accompagner, elle y était finalement allée seule. Laissant un moment Carole, qui commençait à se sentir mieux, j’ai filé en direction des toilettes pour m’assurer que tout allait bien pour Sophie.
Mais je l’ai vue remonter en larmes des toilettes et se ruer vers la sortie. Le temps de la suivre, elle était en train de laisser un message téléphonique à sa mère, lui disant qu’elle venait de se faire violer. Elle n’a pas pu la joindre directement, sa mère étant indisponible. J’ai réconforté Sophie, lui demandant qui lui avait fait ça. Elle m’a répondu qu’il s’agissait de l’un des serveurs. J’ai appelé la police et suis retournée dans le bar pour prévenir le patron que l’un de ses serveurs venait de violer l’une de ses clientes”.
Elle se souvient de la réaction du patron du bar : “Le patron était désolé de la situation, mais étrangement, il ne semblait pas choqué. Il a cru la version de mon amie. De son côté, le serveur était goguenard. Je n’ai pas pu m’empêcher de lui mettre une gifle, et il m’a dit qu’il allait porter plainte pour coups et blessures. Je lui ai répondu que ça tombait bien, parce que la police allait arriver”.
La prise en charge policière et médicale
Emilie souligne l’efficacité et la rapidité des policiers : “Cinq minutes après, 3 policiers sont arrivés à bord de 2 véhicules, et ils nous ont conduits au commissariat situé tout près dans 2 voitures, pour séparer Sophie de son agresseur. Nous avons attendu de longues heures avant que Sophie soit interrogée. La prise en charge de la police a été très humaine, très compréhensive. Carole et moi avons été interrogées l’une après l’autre, en tant que témoins. Une voiture est ensuite arrivée pour conduire Sophie à l’hôpital afin qu’elle y soit examinée par un médecin. Elle a été admise immédiatement, et isolée pour avoir de l’intimité. L’examen a eu lieu. Puis Sophie m’a demandé de lui apporter des sous-vêtements, car les siens avaient été gardés en tant que preuves.
Elle avait besoin que sa maman soit mise au courant, mais ne se sentait pas capable de l’appeler. Un policier m’a permis de récupérer le téléphone de Sophie pour appeler sa mère, que je ne connaissais pas. Elle avait entendu le message de sa fille mais n’avait pas compris la teneur du message, à cause des sanglots de sa fille. Sa première question a été de me demander si sa fille était en vie. J’ai dit oui puis je l’ai informée de viol de sa fille de façon la plus claire possible. Je ne voulais absolument pas pleurer pour ne pas ajouter à son chagrin. Sa mère a été extrêmement forte. Nous sommes restées une demi-heure ensemble au téléphone. Elle m’a demandé de remettre sa fille dans le train au plus vite, dès que ce serait possible”.
Il s’agissait d’un récidiviste
Sophie continue son récit : “Un policier qui était là depuis le début m’a fait monter dans la voiture de police, gyrophare allumé, pour aller chercher des vêtements de rechange pour Sophie. Nous sommes allées ensuite toutes les trois au commissariat du 14e arrondissement, accompagnées par le policier. Les policiers de ce secteur étaient des spécialistes des agressions sexuelles. Nous avons attendu environ trois heures, assises par terre. L’attente nous semblait interminable. Sophie commençait progressivement à reparler. Carole, qui est un rayon de soleil, la réconfortait, pendant que j’essayais de glaner des informations. On nous a fait passer un test d’alcoolémie.
J’ai ensuite été interrogée en premier par une inspectrice et deux de ses collègues, au sujet du coup que j’avais porté à l’agresseur. Elle m’a mise à l’aise en me disant que je ne risquais rien, et qu’elle voulait juste évacuer cette affaire. Elle m’a ensuite demandé de retracer la soirée. Elle ne m’a pas caché que la consommation d’alcool et le côté débridé du bar risquaient d’être avancés par la défense, s’il y avait procès”.
Vient alors une nouvelle qui lui fait l’effet d’un coup de massue : “L’inspectrice m’a donné des informations sur l’agresseur de Sophie : il s’agissait d’un serveur remplaçant, qui avait été licencié un mois auparavant par le patron du bar pour agression sexuelle sur une cliente au même endroit. Le patron l’avait pris pour un remplacement car il manquait de bras. Pourtant, il savait ce qu’il avait fait ! Il avait 4 plaintes pour agression sexuelle ou attouchements dans son dossier”.
Le doute
Autre nouvelle choquante pour Emilie : “Certains témoins ont contredit la version des faits de Sophie : 2 serveurs et 2 filles qui étaient dans les toilettes ont dit qu’ils n’avaient pas entendu de cris. J’ai remis en question l’histoire de ma copine, qui venait de se séparer, et n’avait eu qu’un homme dans sa vie. Je me suis posé des questions sur la véracité de son récit. Et je m’en veux, car l’examen mené sur Sophie a démontré qu’il y avait bien eu viol”.
“Au vu des témoignages, Sophie a décidé de ne pas porter plainte, par peur de se faire laminer par la défense. Elle était fragile psychologiquement et ne se sentait pas capable d’affronter un procès”, regrette Emilie, qui ajoute : “En repartant, j’ai croisé le patron du bar, qui est venu me voir en me disant qu’il avait licencié l’individu. Je lui ai reproché de l’avoir réembauché pour la soirée alors qu’il savait que c’était un violeur. Les jours suivants, je suis repassée devant le bar pour vérifier que le violeur n’y était pas de nouveau. Le bar a fermé un an après, après plusieurs affaires de drogue mise dans les verres des clientes. Aujourd’hui, je me souviens encore du visage du patron et du violeur”.
Reconstruction et culpabilité
Emilie témoigne de la force de caractère de son amie : “Sophie a réussi à se reconstruire, avec l’aide d’une psy. Aujourd’hui, elle parle de temps en temps de ce qui lui est arrivé, mais aussi de mon comportement protecteur ce jour-là. Je suis toujours impressionnée qu’elle parvienne à en parler. Progressivement, elle a réussi à sortir, à faire de nouveau confiance aux hommes. Je l’admire d’avoir eu la force de se remettre de son agression… sachant que j’ai mis quatre ans avant de réussir à fêter mon anniversaire, après ça”.
Souvent, Emilie se repasse le fil des événements, et garde un certain traumatisme de cette terrible soirée : “Je pense encore à l’enchaînement des circonstances qui ont mené au viol de mon amie ; à chaque décision que nous avons prise, les unes comme les autres, ainsi que le violeur, le patron du bar… Je culpabilise toujours de ne pas l’avoir accompagnée aux toilettes. Je me reproche mon manque de vigilance pendant ces cinq minutes. Je suis encore dans la culpabilité. En soirée, je suis toujours sur le qui-vive. Je suis devenue très observatrice, comme si je guettais des signaux d’alerte”.