Vécu : des enfances brisées en familles d'accueil
Récemment, nous avons recueilli les témoignages de plusieurs personnes qui ont passé leur enfance placées dans des familles d'accueil par l'Aide sociale à l'enfance. Nous les regroupons ici, en attribuant des pseudonymes à ces personnes, qui souhaitent conserver l'anonymat…
Changements brutaux de familles d’accueil, dénigrement, brimades et punitions excessives pour Caroline
Caroline a été placée en famille d’accueil à 12 ans, après avoir été abusée par son père, sa mère n’étant pas apte à lui fournir un foyer et une vie équilibrés. Une première expérience chez une femme merveilleuse lui donne une belle vision des familles d’accueil. La jeune fille est accueillie dans une maison avec jardin avec des enfants de son âge, la dame est affectueuse et fait faire de nombreuses activités culturelles et sportives aux enfants. Le chien et le lapin de la maison achèvent de donner du réconfort aux petits comme aux ados. Mais cette dame est jugée trop gentille par les services sociaux et la mère de l’enfant : il ne faudrait pas que Caroline s’attache trop à sa famille de substitution !
Son seul point de repère stable est sa marraine, désignée “tiers de confiance”, qui la reçoit dans sa maison tous les week-ends et durant les vacances. Quand elle avait demandé la garde de l’enfant avant son placement en famille d’accueil, l’ASE avait refusé, arguant que la famille d’accueil s’occuperait bien d’elle.
La voilà changeant de famille du jour au lendemain, obligée de faire sa valise, de se séparer des copains qui vivaient avec elle dans la famille d’accueil et de faire ses adieux à cette dame aimante qui s’occupait si bien d’elle. Elle arrive dans une nouvelle famille qui vit en HLM, dans un mauvais quartier. Heureusement, le couple qui l’accueille est sympathique. Rude, mais plutôt gentil. Les conditions et règles de vie sont bien différentes, il faut aussi changer de collège. Mais la petite s’habitue tant bien que mal à cette nouvelle famille. Mais un accident de la vie ramène le fils du couple à la maison. Caroline, qui occupait son ancienne chambre, doit partir pour lui laisser la place.
Elle est envoyée dans une nouvelle famille, à 25 kilomètres de la précédente. Là-bas, les enfants rapportent de l’argent, mais ils ne doivent pas en coûter. Les chiens, dont la famille fait l’élevage, sont mieux considérés que les ados placés. Caroline dispose d’une chambre exiguë sans chauffage, avec une fenêtre minuscule. Les chaussettes qui ne sont pas pliées par deux avant de passer à la machine à laver valent aux enfants une punition d’un autre âge : nettoyer sous les figuiers de barbarie sans gants ni lunettes de protection. Faire encourir des risques aux enfants n’est pas un problème pour la famille d’accueil. La veille de passer son brevet des collèges, la petite est encore à faire la vaisselle à la main à minuit, car la famille d’accueil a reçu des invités. Sa marraine, qui l’appelle le lendemain sur son téléphone portable pour lui demander de ses nouvelles, entend la dame d’accueil crier “Ferme ta gueule Caroline, sale connasse”. Epuisée par l’injustice et les brimades, les heures entières de dénigrement, l’enfant fait fugue sur fugue. Et finit par demander à être placée en foyer d’accueil.
Caroline finit en foyer d’accueil, encadrée par des éducateurs. Sur place se trouvent de nombreux adolescents à problèmes, parfois violents. Ils l’initient à la cigarette, à la consommation d’alcool… Les mauvaises rencontres s’enchaînent. La scolarité de Caroline en pâtit. Elle finit dans un lycée mal coté et accumule les mauvaises notes. Heureusement, sa double passion pour l’équitation et pour le cyclisme, qu’elle pratique assidument, la ramène dans le droit chemin, sous le regard attentif de sa marraine. La jeune fille se découvre une passion pour les métiers du rail, et parvient à entrer à la SNCF.
Aujourd’hui adulte, Caroline garde un mauvais souvenir de ses années passées à être ballottée de famille en famille, sans affection, et de la solitude qu’elle ressentait. Elle a gardé une certaine fragilité, une forte propension à dénoncer l’injustice, mais aussi des difficultés à faire confiance aux autres. Rejetée et vue comme “la fille de l’ASE” pendant de longues années par ses camarades dans les cours d’école, de collège puis de lycée, elle peine à nouer des amitiés durables. Elle recueille les animaux blessés ou abandonnés qui croisent son chemin, mais ne tient pas particulièrement à avoir d’enfant, craignant qu’il ait lui aussi un parcours difficile. Heureusement, elle a rencontré un homme qui la rend heureuse, et le couple envisage sérieusement de se marier cette année ou en 2023…
Maltraitance, esclavage et viol pour Lili
Récemment, une de nos lectrices, que nous appellerons Lili, a contacté la rédaction pour témoigner de son passé. N’ayant pas laissé ses coordonnées, nous n’avons pas pu la recontacter, mais nous diffusons une partie de son témoignage ici… “J’aimerais vous parler de mon histoire. J’ai été abandonnée à 9 mois. Et j’ai vécu 16 longues années en famille d’accueil, où j’ai subi maltraitance, esclavage et viol. Cette vie m’a laissé énormément de séquelles, même si ma force de caractère et ma pratique du rugby à haut niveau m’ont permis de garder la tête hors de l’eau. Le sujet de la maltraitance chez les enfants de l’ASE est encore trop tabou dans notre société et il faut que des gens comme moi puissent témoigner. Je veux mener ce combat pour que d’autres enfants ne se retrouvent pas avec mon mal-être et ne se sentent pas seuls. Car la solitude fait mal. J’ai beaucoup de chose à vous raconter en plus. La destruction psychologique au sein de certaines familles d’accueil. Le chemin que ça prend pour se reconstruire. J’ai mis du temps à me relever. Je m’en relève mais j’ai encore beaucoup de choses à ‘soigner’. Et cela, je ne veux pas que ça arrive à d’autres jeunes de l’ASE. On ne peut plus fermer les yeux sur tout cela et faire comme si ce dysfonctionnement n’existait pas. J’ai dû me construire et m’instruire seule, me débrouiller et m’élever seule. Malgré ma grande force de caractère, ce sont des séquelles que l’on garde à vie.”