[VIDEO] Foncer, pleins phares sur la Nature, c’est terminé !
Les enjeux contemporains du développement urbain et de l'écologie sont de plus en plus au cœur des préoccupations des citoyens. Citoyens qui sont aujourd’hui en droit d’attendre des décisions politiques affûtées sur ces questions.
Alors, comment la pollution lumineuse est passée d’une préoccupation marginale à un sujet qui touche divers domaines, de la science à l’économie, en passant par la santé publique et la biodiversité ?
Foncer, pleins phares sur la Nature, lui imposer les besoins et le rythme de l’Homme, c’est terminé ! Enfin, presque… Osons l’espérer. À Montpellier, lors du conseil de métropole d’octobre 2023, le « Plan Lumière » a été présenté par Bruno Paternot, conseiller délégué à la qualité de l’environnement visuel, mais aussi 34e conseiller municipal de la majorité appartenant au Groupe politique « Choisir l’écologie à Montpellier » en charge de l’esthétique lumineuse et ambiance sonore de la ville. Si certains esprits chagrins avaient pu juger « gadget » les délégations de l’élu, ils peuvent désormais s’autoriser à « manger leur chapeau, » ce qui laisserait une bonne partie de l’assemblée métropolitaine silencieuse le temps de ce repas de rédemption politique.
L’éclairage urbain est souvent considéré comme un signe de modernité et de sécurité. Mais aujourd’hui il est impossible d’ignorer son coût environnemental à cause de l’impact sur la biodiversité. Le ratio est simple, l’augmentation de la pollution lumineuse perturbe les écosystèmes, et a des conséquences néfastes sur de nombreuses espèces animales et végétales. Les oiseaux migrateurs sont parmi les plus touchés. Guidés par les étoiles, ils sont désorientés par les lumières artificielles. Les insectes, attirés par la lumière, subissent également des taux de mortalité élevés, ce qui a un effet en cascade sur la chaîne alimentaire. Idem pour la flore, l’éclairage nocturne peut perturber le cycle de croissance des plantes et affecter leur capacité à fleurir ou à produire des fruits. Cela peut également avoir un impact sur les pollinisateurs nocturnes comme certains papillons ou chauves-souris.
Sans plantes, pas d’humains
Affaire n°3, aménagement durable : le Plan Lumière. « Chez les insectes pollinisateurs, 60% sont des insectes nocturnes. Si au lieu de s’occuper des fleurs, ils vont tourner autour des lumières, fascinés et hypnotisés, ils ne peuvent plus les polliniser. Et si on n’a plus d’insectes, parce qu’ils sont morts, épuisés, et qu’ils font partie de la sixième extinction de masse, on n’a plus de plantes, donc on n’a plus d’humains, » explique Bruno Paternot. Constat d’une situation alarmante qui renforce le besoin urgent d’agir à l’ère de l’anthropocène. Ainsi né, le contournement lumineux dans la métropole de Montpellier, l’idée : « créer une trame étoilée, c’est-à-dire une autoroute à insectes, pour prendre soin de la Nature et donc des gens. »
Plus que des arrêtés ou des lois, on entre ici dans la créativité et l’intelligence, les indispensables souffles d’équilibre face au pragmatisme des technocrates. Il avait su leur faire écouter du Juliette Gréco sur l’ouverture dominicale des commerces en novembre 2020, aujourd’hui Bruno Paternot leur fait regarder le ciel : « nous devons préserver notre accès au ciel pour nous confronter, nous l’infiniment petit, à l’infiniment grand. »
À Montpellier, cette initiative a pris une ampleur particulière, avec 12 communes de la métropole qui ont déjà adopté l’extinction totale de l’éclairage public sur certains axes. Le plan d’action, qui prévoit un investissement de 36,5 millions d’euros, vise à atteindre 80 % de l’éclairage LED sur la métropole et 100 % sur la ville-centre d’ici 2026.
Replay législatif : en 2010, la loi Grenelle introduit plusieurs mesures pour lutter contre la pollution lumineuse. L’obligation pour les communes de réduire l’éclairage public pendant certaines heures de la nuit. La limitation de l’intensité lumineuse des enseignes et publicités lumineuses. La promotion de technologies d’éclairage plus efficaces et moins polluantes. Un arrêté du 27 décembre 2018 a notamment complété ces mesures en étendant son champ à toutes les installations d’éclairage. Cet arrêté a précisé des plages horaires pour l’éclairage de différents types de sites, comme les parcs, les jardins, les locaux professionnels, et les vitrines de magasins. Exemples : les lumières éclairant le patrimoine et les parcs doivent être éteintes au plus tard à 1 h du matin ou 1 h après la fermeture du site. De même, les éclairages intérieurs de locaux à usage professionnel doivent être éteints une heure après la fin d’occupation des locaux. Ont été également introduites des mesures pour protéger des sites d’observation astronomique exceptionnels dans un rayon de 10 kilomètres. Et, la notion de « trame noire » a été renforcée depuis la loi biodiversité de 2016. Cette trame vise à préserver et restaurer un réseau écologique propice à la vie nocturne. Elle est devenue une nécessité réglementaire, dans tout projet d’aménagement.
Les déchets lumineux dans les poubelles du voisin
Tout n’est pas qu’une question d’économie d’énergie, l’enjeu concerne la préservation du patrimoine naturel. Prise de conscience, « le halo de Montpellier peut, les nuits de nuages, rayonner jusqu’à 100 km autour. C’est-à-dire que nous jetons nos déchets lumineux dans les poubelles du voisin. Or le voisin, c’est une des rares RICE (Réserve Internationale de Ciel Étoilé), en l’occurrence le Parc national des Cévennes » souligne Bruno Paternot.
Mais côté finances, « si vous éteignez, si vous réduisez, si vous réinventez, si vous rationalisez, si vous rénovez, vous économisez de l’argent. Ce qui coûterait cher, ce serait l’inaction. Bruno Paternot travaille avec « un budget de 13 millions d’euros par an, pour l’installation, la rénovation, la gestion, l’achat du matériel. » Avec entre autres, comme objectifs, « consommer moins et diminuer nos kilowatts […] Nous avons plus de 80.000 points lumineux sur la métropole, 1.400 armoires électriques, qui sont plus ou moins en bon état. La loi NOTRe de 2014 a proposé la métropolisation de ce parc, ce qui est arrivé en 2019. Donc il était important dans un premier temps de faire un état des lieux des 31 communes. Il a fallu remettre en état et en sécurité, et vérifier que tout pouvait fonctionner normalement. C’est un travail qui se poursuit encore, parce que c’est très long de créer de la cohérence,» précise en interview le conseiller de la métropole, délégué à la qualité de l’environnement visuel.
Conseil de Montpellier Méditerranée Métropole le 3 octobre, Bruno Paternot a défendu une synthèse de 492 pages, un travail autant judicieux qu’immense mené avec les services de la collectivité, et avec une concertation importante auprès de la recherche, des entreprises et des associations. L’Affaire Numéro 3 a été votée à l’unanimité, son objectif : moins 50% de pollution lumineuse. Le conseiller rappelle que « deux enfants sur trois n’ont pas accès aux étoiles. Deux enfants sur trois aujourd’hui ne voient jamais la voie lactée […] nous allons éclairer moins, mais éclairer mieux pour créer un récit, pour créer du merveilleux. »
Ce Plan Lumière de Montpellier s’inscrit comme essentiel dans la gestion d’un territoire, car il englobe les enjeux d’environnement, d’énergie, de finances et de culture. « Mais je veux le dire aussi, un peu avec force, il faut que les opérateurs privés, nous y veillerons, s’engagent dans ce mouvement. C’est la gare Sud de France qui doit s’éteindre. Je ne veux pas stigmatiser tels ou tels, je veux prendre des exemples, mais ce sont les agences immobilières qui parfois maintiennent la nuit un éclairage public de forte intensité, » insiste Michaël Delafosse, maire de Montpellier et Président de l’EPCI qui gère la Métropole. Un chemin est tracé pour s’engager vers une sobriété énergétique qui respecte la biodiversité, et de fait, la santé de tous.