[VIDEO] La main tendue de Jean-Pierre Lacan : De la solidarité maritime à la solidarité climatique
Ce sont plus que des chiffres, ce sont des vies : 2.066 disparus depuis le début de l'année, la Méditerranée centrale est l'axe migratoire le plus mortel au monde. 2023, SOS MÉDITERRANÉE a déjà sauvé 1.711 personnes.
Mi-août le navire « Ocean Viking » a fait sa plus importante opération de sauvetage : 623 naufragés récupérés en 15 opérations réalisées en moins de 2 jours. Et, depuis le début de ses activités au printemps 2016 l’association a sauvé 38.847 vies.
Journaliste, reporter, chef d’édition, l’homme n’ignore rien de l’actualité liée à la Méditerranée et au monde méditerranéen. Lucide face à l’urgence humanitaire, Jean-Pierre Lacan rejoint SOS MÉDITERRANÉE comme bénévole en 2016 pour organiser la mobilisation citoyenne dans l’Hérault, puis dans la Région Occitanie. Il crée l’antenne Sète-Bassin de Thau de l’association, et participe à la création de l’antenne Héraultaise. Il est administrateur de SOS MÉDITERRANÉE FRANCE depuis 2017 et confie : « j’ai ainsi vu s’aggraver la situation humanitaire sur la route maritime de la Méditerranée centrale, notamment après les « Printemps arabes » puis se constituer la réponse citoyenne face à l’inertie des États avec l’arrivée des ONG de sauvetage. »
[VIDEO] Interview avec Jean-Pierre Lacan, vice-président du Parlement de la Mer d’Occitanie-Pyrénées-Méditerranée, porte parole SOS MÉDITERRANÉE :
La main tendue
En mai 2022, Jean-Pierre Lacan est élu vice-président du Parlement de la Mer d’Occitanie-Pyrénées-Méditerranée où il travaille sur les questions liées à l’humanitaire et aux solidarités. Sur la thématique de la solidarité, devant cette double dynamique, devant un engagement sans faille, la rencontre avec Jean-Pierre Lacan était inévitable. Ce journaliste engagé offre une réflexion profonde qui part de l’acte essentiel du sauvetage en mer pour s’étendre à un dialogue sur la gouvernance internationale, les droits humains et la protection environnementale. (Entretien à retrouver en vidéo grâce au QR code présent dans l’article.)
Jean-Pierre Lacan nous challenge à repenser nos notions de solidarité et d’action collective, dans un monde en pleine mutation. « La solidarité, c’est d’abord une image, un geste. C’est le geste de la main tendue. Elle est formidable cette image de la main tendue pour sauver des gens qui se noient en Méditerranée. » Dans cette région qu’il décrit comme un « espace sans foi ni loi », ce geste fondamental devient compliqué, voire impossible.
Le paradoxe est que cette mer, qui a été le berceau de civilisations et d’échanges, est devenue un lieu d’incertitude et de mort, pour ceux qui tentent de la traverser dans l’espoir d’une vie meilleure. Ces migrants donnent beaucoup plus qu’une obole à Charon, le passeur d’âmes, pour franchir le Styx. Et, à défaut d’atteindre l’Occident, c’est l’au-delà qu’ils vont connaître pour la majorité d’entre eux, car les chiffres de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) ne concernent que ce qu’il a été possible de compter.
Crise humanitaire et crise écologique
Kito de Pavant, lors d’un tour du monde, a été victime d’une avarie : « il y a 40 nœuds de vent et 5 à 6 mètres de creux sur zone. Le matériel de survie est à côté de moi. Il va falloir venir me chercher », lançait-il par radio. En 2016, le Marion Dufresne, navire positionné à 110 milles au nord de l’endroit où se trouvait le navigateur, se déroute pour le sauver. Jean-Pierre Lacan raconte ce que lui a confié Kito de Pavant : « quand j’ai été à l’eau, dans des conditions extrêmement difficiles… je n’ai jamais perdu espoir parce que je savais qu’on viendrait me récupérer. Et de fait, on est venu le récupérer […] Il ajoute ceci, il me dit, en Méditerranée centrale à deux pas des frontières maritimes de l’Europe, ceux qui se noient n’ont jamais la certitude que l’on viendra les sauver. » Pourtant, entre le talon de la botte italienne et la côte libyenne, la Méditerranée est la plus large avec 1.600 km d’eau, mais connaît un trafic important. Effrayante dichotomie entre deux mondes qui semblent ne pas se voir. Le Canal de Suez est la voie commerciale reliant la mer Rouge et la mer Méditerranée. 10% du commerce maritime mondial y transite et cela a généré, selon des chiffres officiels égyptiens : 8,6 milliards d’euros sur l’année fiscale 2022-2023.
La convention de Genève de 1951 a servi de pilier pour l’assistance aux réfugiés, « elle dit dans quelles conditions on peut revendiquer le droit à être réfugié, c’est-à-dire lorsqu’on est pourchassé pour des raisons politiques, pour des raisons liées à son genre, pour des raisons liées à sa foi, à ses idées, etc. Évidemment, en 1951, la problématique climatique n’était pas encore au centre des préoccupations, » explique le vice-président du Parlement de la Mer. L’environnement méditerranéen est également sous pression. Jean-Pierre Lacan fait valoir qu’il ne sera pas possible de résoudre la crise écologique sans résoudre la crise humanitaire. Il n’y a pas de distinction claire entre ces deux formes de crise ; elles sont liées.
Le Parlement de la Mer
En 2013, le Parlement de la Mer naît en Languedoc-Roussillon sous la houlette de Christian Bourquin, Président du Conseil régional du Languedoc-Roussillon. Trois ans plus tard, il évolue pour embrasser toute la région d’Occitanie-Méditerranée, avec Didier Codorniou à la barre « et il est aujourd’hui porté très fortement, par Carole Delga. » Son objectif : fédérer la communauté maritime, stimuler la concertation et catalyser des projets innovants. En 2022, il entre dans sa troisième phase, visant spécifiquement à travailler sur les « solidarités maritimes » dans un cadre international avec l’ambition de devenir le Parlement de la Méditerranée.
Pour l’heure, la stratégie de ce Parlement est de commencer par organiser les « Premières assises en Occitanie du droit de la mer et des solidarités maritimes » pour l’automne-hiver 2024, ciblant ainsi le créneau post-élections européennes de juin 2024, avec une volonté assumée de s’inscrire dans les réflexions institutionnelles qui animeront l’Europe. Dans le sillage des tragédies en Méditerranée, ces assises revêtent un caractère d’urgence. Elles visent à clarifier les zones d’ombre sur la gestion des naufragés et des flux migratoires.
Un grand moment de solidarité
Le tout débutera par un événement précurseur à Montpellier, le 24 octobre 2023. Jean-Pierre Lacan précise : « cela va avoir lieu dans le cadre du Salon du littoral qui se déroulera au parc des expositions, une initiative qui s’appelle « Osons la Méditerranée » et qui veut poser les bases d’un parlement de la mer Méditerranée avec les parlements de la mer français des côtes du littoral méditerranéen, Corse et PACA, et bien sûr avec le parlement d’Occitanie. Pour illustrer cette thématique de la solidarité qui fondera le Parlement de la Méditerranée, nous organisons une table ronde qui réunira le président François Thomas de SOS MÉDITERRANÉE France, mais également le politologue spécialiste des questions de migration qui est François Gemenne, que tout le monde connaît bien parce qu’il est très médiatique du fait de son rôle notamment au sein du GIEC. Et puis, un personnage absolument extraordinaire qui est Pietro Bartolo. Pietro Bartolo est parlementaire européen italien du Parti démocrate italien. Mais au-delà de son étiquette, il est surtout connu comme le médecin des migrants de l’île de Lampedusa. Il a été en première ligne, malheureusement, lors du fameux naufrage de la nuit du 3 au 4 octobre 2013. Pietro Bartolo sera là pour débattre avec François Gemenne et François Thomas. Ce sera un grand moment de solidarité. »
Miroir complexe et oppressant que cette mer fermée qui reflète violemment les défis de l’urgence humanitaire et écologique. Jean-Pierre Lacan nous rappelle ici que la Méditerranée est un héritage commun, mais également une responsabilité partagée.