[VIDEO] Montpellier : Vincent Cavaroc, "à la Halle Tropisme, chaque programmation dépose sa mémoire"
5 ans de vie, des milliers d'événements, des millions de visiteurs et probablement un milliard d'idées. La Halle Tropisme, c'est l'effervescence, celle de la culture, de l'entrepreneuriat, de l'envie de faire différemment avec ceux qui pensent, agissent, vivent différemment.
Depuis hier et jusqu’à dimanche, la Halle Tropisme fête ses cinq ans d’existence en mêlant soirées festives, expositions, ateliers et gastronomie, tous les éléments aujourd’hui indissociables de son ADN. C’est après une première nuit de fête réussie, en amont de l’arrivée de la nouvelle serre et quelques heures avant la suite des festivités que son directeur Vincent Cavaroc nous a reçus.
2017 votre découverte de l’ex-EAI, 2019 l’inauguration et aujourd’hui l’anniversaire des 5 ans. Quels sont vos premiers souvenirs de cet espace et du quartier ?
Vincent Cavaroc : “Quand nous avons pénétré dans la halle la première fois, en se projetant dedans, nous avons découvert un grand espace de 4 000 m², avec encore, de part et d’autre, des anciens bureaux militaires, des portes portant encore le nom de certains officiers, des espaces dédiés à l’outillage. Parce que ce que les gens ont un peu oublié, c’est que cette halle, c’était vraiment l’endroit de réparation des tanks et des poids lourds de l’armée. Il y avait aussi une partie consacrée à la menuiserie, une autre à la ferronnerie. C’est difficile à imaginer aujourd’hui quand on regarde le Café Tropisme, mais à l’époque de notre première visite, il était coupé en deux, avec une zone ferronnerie et quatre mètres de gravats entassés dedans. Tout était resté dans son jus, tout était encore comme si les militaires étaient partis la veille. On n’a pas voulu effacer tout ça, donc on a gardé beaucoup de signaux qui s’effacent petit à petit, au fil du temps et des programmations. Ainsi, chaque programmation dépose sa mémoire.”
Qu’est-ce qui vous a encouragé à faire cette transition douce ?
Vincent Cavaroc : “Cela repose sur plusieurs choses. Déjà, nous sommes un projet d’urbanisme transitoire sur douze ans, ce qui signifie que nos investissements doivent tenir sur cette période et qu’après on n’aura pas forcément de suite. Cette condition implique que nous ne pouvons pas réinventer le lieu complétement. Après ça tombe bien, nous aimons ce côté friche, qui est rare à Montpellier. Il y a peu d’endroits qui ressemble à notre halle donc c’était intéressant d’en garder le vernis. Enfin cela tient aussi à un certain niveau de difficulté. Par exemple, les deux scènes qui se font face dans notre bâtiment principal, c’était une contrainte du bâtiment. Sous ces estrades en bois, c’étaient les fameux ponts de mécanique sur lesquels étaient mis les poids lourds afin que les ouvriers réparent le dessous. C’était de l’acier et du béton donc, c’est quasiment impossible de les enlever. Résultat : plutôt que de les effacer, on les a recouverts pour littéralement mettre des artistes dessus.”
Quand avez-vous su que ce pari était réussi ?
Vincent Cavaroc : “J’ai toujours cru au projet. On a travaillé pendant des mois avant l’inauguration, notamment avec une programmation ‘En chantier’. Juste avant que ça commence, je me suis dit que j’hallucinais peut-être, que personne n’allait venir jusqu’ici. On avait quand même un quartier complètement non identifié, le tramway était à un horizon très lointain, les habitants des grandes villes sont souvent flemmards pour les sorties… Finalement, alors qu’on attendait 5 000 personnes sur le week-end inaugural, nous avons accueilli près de 20 000 visiteurs. On a compris qu’il y avait quelque chose qui pouvait se passer ici”.
Et puis le Covid est arrivé…
Vincent Cavaroc : “Alors que je craignais la fin de l’effet lancement un an après l’ouverture, c’est un tout autre scénario qui s’est joué. Nous venions de célébrer notre première année, les dynamiques prises, l’installation de rendez-vous tels que le marché paysan, les brunchs, les ateliers, et tout se cassait. Impossible de les garder comme tels, mais il fallait résister, il allait falloir avoir les reins solides. Alors nous avons interprété en notre faveur tous les textes officiels, nous nous sommes adaptés, et pour garder le contact l’équipe de la Halle Tropisme a créé des contenus quotidiens en ligne. On s’est dit qu’on avait peut-être perdu le lien qu’on avait réussi à tisser. Finalement, au retour à la normale, c’est reparti de plus belle !”.
En cinq ans, la Halle a beaucoup évolué, quelles ont été les grandes étapes de sa croissance ?
Vincent Cavaroc : “Quand on a ouvert il y a cinq ans, on avait l’autorisation de pouvoir mettre quelques tables jusqu’à six mètres devant la halle. À chaque fois qu’on faisait quelque chose de plus en extérieur, on devait faire une demande écrite à la SERM… On ne pouvait pas vivre 12 ans comme ça, avec un énorme terrain vide sous les yeux, juste pour qu’il serve de réserve potentielle pour le chantier. Du coup, petit à petit, nous avons convenu avec ce partenaire de l’occupation graduelle de l’espace. Et ça a grandi chaque année un peu plus : la terrasse d’abord, puis la pergola pour se protéger de la belle exposition l’été, le bus pour les enfants, la cabane de Radio Piñata, les conteneurs qui nous servent d’espaces de stockage, d’affichage et de délimination au parking, le camion pizzeria au feu de bois, le poulailler dans la vieille 205 utilisée dans notre premier expo de Tony Regazzoni, le bar caché, les Ateliers… Ce qui me plaît dans ce lieu, c’est qu’on a cette capacité à le transformer en permanence.”
Hasard de la journée, vous recevez ce jeudi un élément de taille, tant par sa superficie que par le rôle qu’il jouera…
Vincent Cavaroc : “On entend le marteau-piqueur ! Notre prochain projet, en cours de construction, allie écologie et insertion. C’est un projet d’agriculture urbaine avec CulturÔtoits. On va créer ici une vraie petite ferme en hydroponie de culture, de légumes, fruits, aromates. Ce jeudi matin, on reçoit une énorme serre de plus de 25 mètres de long ! L’idée est de produire, pour le café et pour le quartier, il y aura d’ailleurs un point de vente à la Halle. Ce sera 100 % locale, avec des espèces réfléchies et un mode de culture responsable et raisonné. L’écologie est un axe que nous voulons continuer à développer, ainsi que le social, déjà illustré par la présence d’Emmaüs et du Secours populaire.”
C’est dans ces différents espaces que vous dosez ambition et raison. Quel est le calcul fait ?
Vincent Cavaroc : “C’est toute la difficulté de monter un lieu comme celui-ci. Même si on a la bienveillance du maire et de la SERM – qui aiment à dire que pour eux la Cité Créative telle qu’elle évolue est une de leurs plus belles réussites en termes de ZAC – on ne fonctionne pas comme une institution culturelle classique, nous sommes une coopérative sociale et solidaire. On a moins de 2 % d’argent public sur tout notre modèle ! Comme ramener de l’argent n’a aucune incidence et qu’on n’a pas un budget illimité pour produire nous-même, il a fallu faire une programmation qui nous ressemble et on en a fait une force. Ici, on ne sait pas faire sans faire avec d’autres, sans mettre en avant les autres, sans être une caisse de résonance pour des projets aux origines diverses. Mon rôle à moi, souvent, c’est d’éditorialiser le désir des autres de faire des choses chez nous, c’est-à-dire qu’on ne peut pas dire ‘oui’ à tout mais qu’on a une flexibilité et une ligne éditoriale qui nous permettent de faire beaucoup. Souvent, l’idée du programme part d’un jeu de mots, puis on pense à créer des ateliers thématiques, à inviter des chefs, à adapter la programmation musicale… Notre programmation prend appui sur toutes les énergies du territoire. La suite, c’est un jeu de Tetris. Mon but à moi, c’est de rajouter des trucs tout le temps, j’aime cette pluridisciplinarité, parler culture, gastronomie, écologie, logement, intergénérationnel dans le même souffle inspiré. Toutes mes équipes le savent : je déteste le vide et les limites dogmatiques. C’est toute cette hybridation, avec en fil rouge notre sensibilité, qui est notre socle”.
Cet ADN se lit aussi dans votre relation avec les quartiers voisins, dont la Cité Gély, souvent stigmatisée. Comment se sont tissés ces liens ?
Vincent Cavaroc : “On nous a dit : ‘Attention, quand la Cité Gély va comprendre que vous êtes là, ça sera un problème’. Donc on a décidé de faire le contraire, on est allé à leur rencontre. Ce lien, cette confiance, a donné lieu à la création du premier festival de culture gitane, qui se déroule depuis chaque année au mois d’octobre. C’est l’une de mes plus grandes fiertés. On les associe à des voleurs de poules et on oublie de faire le rapprochement quand on parle de paella, de rumba catalane, de flamenco. En décryptant le quartier, petit à petit, on fait en sorte de montrer que la culture gitane est plus vaste, plus populaire et plus poétique.”