Société — Montpellier

Violences faites aux femmes : Anne Ponseille déplore une législation “par petites touches”

Alors que l'Assemblée a adopté en première lecture le 28 janvier une proposition de loi visant à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, notamment en introduisant la notion de "contrôle coercitif" dans le code pénal, Anne Ponseille, maître de conférences à l'Université de Montpellier, pointe les insuffisances de cette avancée législative et appelle à une loi-cadre ambitieuse.

Le sujet des violences faites aux femmes occupe l’actualité législatives, comment expliqueriez-vous ce qui se joue ?

Anne Ponseille : Il y a deux éléments distincts. D’un côté, il y a la circulaire de politique pénale du ministre de la Justice adressée aux procureurs, et de l’autre, il y a la proposition de loi Berger, qui a été votée hier par l’Assemblée nationale après des modifications par rapport au texte initial. Elle concerne des intégrations, de termes légaux principalement. C’est un ajout de plus, car depuis qu’Emmanuel Macron est président, nous avons vu beaucoup de lois être votées dans le cadre de la lutte contre les violences faites aux femmes. Certes, c’est une avancée, mais on a parfois l’impression qu’il s’agit de réactions à des faits divers, comme ici à l’affaire de Mazan.

Pourquoi cela pose-t-il problème ?

C’est un problème majeur car cela ne permet pas de créer une véritable cohérence juridique. Au lieu de cela, on répond par petites touches, sans une vision d’ensemble du droit pénal. Ce n’est pas efficace à long terme. On se retrouve avec une législation plus fragmentée, ce qui peut être contre-productif. Il nous faudrait plutôt une loi-cadre qui permettrait de regrouper toutes ces problématiques sous une même structure, qu’il s’agisse des infractions, des mesures de protection, ou des procédures pénales. Actuellement, les lois se superposent, ce qui rend la mise en œuvre plus complexe et manque de cohérence.

Pouvez-vous en dire plus la notion de contrôle coercitif, dont l’introduction au code pénal vient d’être validée ?

 Le “contrôle coercitif” est un concept qui existe depuis longtemps, mais la définition proposée dans cette loi est trop floue et réductrice. Elle assimile ce contrôle à des violences psychologiques, mais la réalité est bien plus complexe. Ce contrôle coercitif englobe différentes formes d’emprise. Il serait plus pertinent de préciser cette définition, car à ce stade, il est difficile de prouver concrètement la réalité de ce contrôle coercitif dans le cadre judiciaire. La définition de ce concept se doit d’être claire afin d’éviter des malentendus ou des lacunes dans la loi. Il y aura probablement des modifications à venir.

Est-ce que d’autres éléments de cette proposition s’accompagne de zones d’ombre ?

L’allongement de la garde à vue à 72 heures,qui semble avoir été ajouté à la dernière minute à la proposition de loi, soulève de nombreuses interrogations. Cette modification impacte directement la procédure en matière de violences intrafamiliales et introduit une forme de droit dérogatoire. Or, une telle évolution devrait faire l’objet d’une réflexion approfondie plutôt que d’être adoptée de manière précipitée. Car en allongeant la garde à vue, on fait basculer le contentieux des violences intrafamiliales dans un cadre juridique d’exception, ce qui pose une question fondamentale : doit-on créer un droit spécifique pour ces infractions ? Cela renvoie aussi au débat, toujours en suspens, sur la création de juridictions spécialisées.

Une autre zone d’ombre concerne l’aggravation des peines en cas de viol au domicile de la victime. Rien ne précise si cette circonstance s’applique systématiquement aux viols conjugaux. Si c’était le cas, cela signifierait une circonstance aggravante quasi automatique dans ces affaires. Mais comment sera-t-elle appliquée ? Va-t-on permettre un cumul des circonstances aggravantes pour alourdir encore plus les peines, ou bien y aura-t-il un plafond ? Ce flou législatif montre bien que ces questions mériteraient d’être mieux pensées en amont.

Qu’en est-il des grands absents ? 

Il n’y a aucune référence à la question du consentement ou à la redéfinition du viol dans cette loi, ce qui soulève la question de savoir si un autre texte abordera ces sujets. Cela semble être une approche par touches successives, sans stratégie globale.

D’après vous, quelle devrait être la prochaine priorité du gouvernement ? 

Plus de moyens, car le manque de financement des associations d’aide aux victimes est un problème majeur. Ces associations, qui assurent un rôle fondamental dans l’accompagnement et la protection des victimes, sont confrontées à une baisse des financements, tant au niveau national que local. Cela nuit gravement à leur capacité à mener à bien leur mission. Il est essentiel que l’État et les collectivités locales renforcent les ressources allouées à ces associations pour qu’elles puissent accompagner efficacement les victimes et garantir leur sécurité.

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