Cathy Bourgoin : "La plupart des victimes de la route ont été tuées dans l'indifférence"
Cathy Bourguoin, originaire de Puimisson dans l'Hérault, mène un combat acharné contre la délinquance routière depuis la mort de son fils dans un accident. Avec son collectif "Justice pour les victimes de la route", elle accompagne les proches des victimes inlassablement depuis 2005. Elle témoigne.
Cathy Bourguoin perd Gaëtan, son fils de 22 ans, en décembre 2005. Alors que le jeune homme roulait à moto, il est percuté mortellement par une voiture qui roulait à contresens. À la suite de cela, en 2010, elle crée le collectif “Justice pour les victimes de la route”, afin d’accompagner les proches de personnes victimes d’un grave accident. L’émission “Dans les yeux d’Olivier“, sur France 2, lui a récemment tendu le micro la parole, l’occasion de mettre ne lumière son action.
Dix antennes en France
Cathy travaille avec une équipe de bénévoles répartis sur dix antennes en France. L’association, même si elle est reconnue d’intérêt public, ne reçoit pas de subventions de l’Etat. “C’est une question de principe. On ne peut pas demander de l’argent à l’État tout en dénonçant son fonctionnement. C’est aussi une manière de ne pas se sentir muselée”, confie Cathy Bourguoin.
L’association intervient en effet dans l’accompagnement psychologique des victimes, en les guidant aussi dans les premières démarches administratives et juridiques, mais elle veut surtout amener une prise de conscience face à la délinquance routière.
“On publie régulièrement sur notre page Facebook, qui compte 19 000 abonnés, les cas d’accident de la route avec les circonstances de l’accident et la condamnation de l’auteur. Ceux qui réagissent sont outrés, et c’est cette réaction qu’on recherche. C’est important de rendre hommage aux victimes de la route, car la plupart ont été tuées dans indifférence du gouvernement, des pouvoirs publics, de la société. Tout le monde s’en fout, ce sont devenus de simples faits divers”, s’attriste Cathy Bourguoin.
Repenser le système de prise en charge des proches
Cathy dénonce en effet un fonctionnement inadapté face à la douleur de la perte d’un proche, et un sentiment d’injustice. “Il y a un dysfonctionnement au niveau de l’État. Par exemple, l’auteur qui a causé un accident mortel aura le droit à une visite médicale, à un avocat commis d’office et puis nous, les familles de victimes, on repart tout seul. On nous rend les affaires de notre enfant dans un sac poubelle. Nous n’avons même pas cette dignité-là : la vie de nos enfants ce n’est pas un sac poubelle !”, s’indigne t-elle.
Face à ce système judiciaire que la femme qualifie de “machine à broyer”, le collectif “Justice pour les victimes de la route” apporte d’abord une réponse psychologique. “On arrive plus ou moins à trouver les mots pour les parents parce qu’on l’a vécu“, témoigne Cathy Bourguoin.
Pour l’aspect juridique, l’association travaille en étroite collaboration avec Victimes et Avenir, menée par Maude Escriva. Elle aide les familles à récupérer des fonds auprès des organismes d’assurance, à gérer l’indemnisation et les poursuites juridiques. Une réalité très concrète et douloureuse pour Cathy Bourguoin : “C’est horrible à dire et on n’a pas envie d’entendre parler d’argent dans ces moments-là, mais vous perdez votre enfant, il faut de l’argent pour les funérailles. Il faut aller chercher de quoi enterrer son enfant dignement.”
Redonner de la dignité
Redonner de la dignité. Cela fait partie des grandes revendications de l’association, avec l’instauration d’une journée mémorielle pour les victimes de la route. Une demande à laquelle Cathy Bourguoin et les autres membres n’ont pas accédé. En cause : l’indifférence du gouvernement et des décisionnaires, malgré une lueur d’espoir, écartée par la dissolution de l’Assemblée.
“On a énormément de difficultés à être entendu par ce gouvernement. On n’a jamais subi autant de mépris que par M.Macron. Pour cette journée des victimes de la route du 18 mai, on a envoyé des pétitions, des courriers collectifs par des familles au Président. On a fait intervenir les députés, la déléguée interministérielle à la sécurité routière : ils ne répondent jamais. Et pourtant, cette journée, on a failli l’obtenir. On est passé en audition à la commission des lois parce que le député Bricout, du groupe LIOT, avait déposé le projet. Mais à cause de dissolution, comme ce n’était pas passé en première lecture, tout a été annulé“, s’exaspère la présidente d’association.
Pour autant, pas question de baisser les bras. “On s’octroie cette journée nous-même, en menant des actions, comme le 17 mai à Béziers, ou le 24 mai à Thenay, dans le Loir-et-Cher, où l’on va faire une table regroupant toute les victimes au niveau national. Pour cette date nous cherchons d’ailleurs un artiste”, précise-t-elle. Les actions menées sont symboliques : il s’agit de disposer une grande table et des chaises vides autour, là où une victime aurait eu sa place si elle n’avait pas été tuée par un autre automobiliste.
L’avancée de “l’homicide routier”
En 2023, 3 117 personnes sont présumées responsables d’accidents mortels. Face à la délinquance routière et surtout devant la médiatisation de l’affaire Pierre Palmade, la création d’un homicide routier est enfin sur la table. Cela faisait des années que l’association Justice pour les victimes de la route le réclamait. Une nouvelle qualification pénale pour se substituer à l’homicide involontaire, pas adapté en cas de conduite délibérément à risque (alcool, drogue, téléphone etc).
La proposition de loi créant l’homicide routier était en deuxième lecture à l’Assemblée en mars 2024, avant la dissolution. Mais cette fois-ci Cathy Bourguoin est plus optimiste. “Normalement , il devrait être acté. Maintenant c’est : qu’est-ce qu’on attend ? Suite à la dissolution, nous avons relancé les 577 députés, on a peut-être eu 30 réponses positives. On sait que l’homicide routier va passer, c’est une question de temps. Ca va permettre de mettre un mot sur des maux. Les familles, quand elles sont convoquées, ne verront plus la notion d’homicide involontaire. Ce qu’on regrette, en revanche, c’est la disparition des peines planchers dans le texte final.”
Une qualification qui devrait permettre une meilleure application des textes de lois, trop peu respectés d’après Cathy Bourguoin. “Normalement deux à trois circonstances aggravantes pour un accident responsable, c’est 10 ans d’emprisonnement et 150 000€ d’amende. Depuis la création de l’association, les 10 ans je ne les ai vu que trois fois. Les amendes, jamais. Je veux bien qu’on tienne compte de l’individualisation des peines, mais il ne faut pas oublier l’individualisation des familles !”, conclut-elle.