Étang de Thau : une “bactérie diabolique” tue les huîtres adultes
Plusieurs dizaines de producteurs d’huîtres ont vu leur chiffre d’affaires des fêtes affecté par une bactérie qui a tué leur marchandise à taille adulte. Le vibrio aestuarianus, inoffensif pour l'homme, est particulièrement virulent depuis deux ans sur l’étang de Thau.
“On a eu tellement de pertes qu’on a dû acheter des huîtres à nos voisins pour honorer les commandes des fêtes”, constate Philippe Vaudo, tablier jaune autour de la taille, en déplaçant des seaux de coquillages. “C’est cette bactérie qui a tué nos huîtres à taille marchande, on a eu entre 60 et 65% de mortalité… Cette année a été particulièrement virulente”, continue l’ostréiculteur.
Un constat partagé par d’autres conchyliculteurs de la lagune comme Yvon Charlet, qui pose des cordes sur ses tables au milieu de l’étang de Thau. “Cette année a été catastrophique à cause de la bactérie, j’ai perdu 60 à 70% de ma marchandise. Chaque année, c’est de pire en pire”, se plaint l’éleveur.
Cette bactérie, c’est le vibrio aestuarianus, qui touche les huîtres à taille adulte et commerciale, à partir du mois de mai jusqu’à l’automne.
Une bactérie responsable du bilan mitigé des ventes
Une bactérie qui fait donc des dégâts et qui a impacté le bilan des fêtes, reconnaît Fabrice Grillon, directeur du comité régional de conchyliculture de Méditerranée (CRCM). Sur la base des retours des professionnels, il parle d’un chiffre d’affaires “qui oscille entre -30 % et + 10 % pendant les deux semaines des fêtes“, période où se font habituellement 70 à 80% des ventes annuelles d’huîtres sur l’étang de Thau.
“C’est une bactérie qui est diabolique mais qui n’a aucune incidence sur l’homme”, précise Fabrice Grillon, qui remarque qu’elle est particulièrement virulente depuis deux ans. “Elle n’est pas nocive pour l’homme, elle ne supporte pas l’absence de sel”, confirme Marion Richard, chercheuse en écologie marine qui travaille sur les menaces sur l’ostréiculture et l’impact du réchauffement climatique sur les coquillages à l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer).
Une année plus meurtrière que la précédente
“Quand les professionnels ont préparé les huîtres pour les fêtes, ils ont constaté une forte mortalité”, observe Fabrice Grillon. Dans une enquête réalisée à l’automne 2024 par le CRCM auprès des professionnels, les mortalités ont été constatées durant toute la période estivale avec une recrudescence à la fin de l’été et en septembre avec des taux à 50% de mortalité pour 58% des répondants.
Une année qui a été “plus meurtrière que la précédente” assure M. Grillon, alors que la première véritable crise s’est déroulée en 2023. “278 professionnels ont déclaré des mortalités à partir du mois de mai jusqu’à l’automne en septembre ou octobre avec des mortalités moyennes de 69%”, explique Marie-Agnès Travers, chercheuse en microbiologie marine à l’Ifremer.
Cette année, “les mortalités d’huîtres ont été constatées en novembre ou décembre au moment de la préparation des commandes des fêtes mais il se peut que les mortalités aient eu lieu plus tôt au cours de l’été voir au début de l’automne”, estime la scientifique.
À la recherche de solutions
“Des analyses complémentaires vont être effectuées sur les chairs d’huîtres moribondes prélevées en octobre 2024 pour analyser ce consortium et investiguer sur la présence potentielle d’autres bactéries pathogènes”, ajoute Marion Richard.
De premières analyses ont permis de comprendre que cette bactérie était présente dans les huîtres dès leur plus jeune âge puis qu’elle se “réveille” quand il y a des températures élevées, quand la salinité de l’étang diminue avec les pluies ou une arrivée d’eau douce des cours d’eau, ou quand elles sont manipulées pour le détroquage ou le nettoyage.
“On veut travailler sur l’origine de contamination : la bactérie est dans les huîtres mais il est possible qu’on ait des huîtres qui soient porteuses et d’autres qui ne le soient pas. Et donc, on voudrait avoir un passeport sanitaire qui indique si les huîtres sont porteuses ou pas. Faire entrer des huîtres exemptes de pathogène aiderait largement à limiter la dissémination de la maladie”, explique Marion Richard.
Marie-Agnès Travers est, elle, dans un autre projet de recherche avec les écloseurs “pour l’amélioration génétique”. D’autres veulent améliorer la résistance des animaux à cette bactérie.