L’éco de l’Hérault — Montpellier

L’Atelier Tuffery, l’alternative française et éthique du jean

L’Atelier Tuffery, fondé en 1892 et installé à Florac en Lozère, fabrique des jeans. Une alternative française et éthique aux géants du secteur.

La 4e génération de l’Atelier Tuffery, représentée par Julien Tuffery et son épouse Myriam, a tenu pendant 8 mois sur la place de la Comédie une boutique éphémère. Après ce premier essai, elle a inauguré jeudi 13 juin un premier point de vente durable, situé à Montpellier, 13 boulevard Jeu-de-Paume. Pour les plus anciens fabricants français de jeans, l’événement marque un nouveau tournant. L’entreprise prévoit en effet de s’étendre si l’expérience montpelliéraine venait à être fructueuse. De ce côté-là, il semble ne pas y avoir trop d’inquiétude. L’Atelier Tuffery semble avoir capté l’attention des Héraultais. Pour s’offrir un jean de la marque, compter environ 140€.

Hérault Tribune : Quelles sont les difficultés qu’on peut rencontrer quand on concurrence des mastodontes dans la filiale du jean ?

Julien Tuffery : On ne concurrence pas. On est sur une profonde alternative. J’ai ce regard assez pragmatique : la guerre du volume et du beaucoup à pas cher, nous l’avons déjà perdue. Par contre, plus ces mastodontes seront gros, plus ils essoreront la planète, plus ils abîmeront sociétalement la mode, plus je pense que cela fera de la place à des alternatives comme la nôtre. On ne se bat surtout pas contre les très gros, au contraire, nous sommes très fiers de proposer une alternative saine, sincère, pertinente.

En 2022, vous avez réalisé 3,5 millions d’euros de chiffre d’affaires. En 2023, il atteignait 4,9 millions d’euros. À quoi devez-vous cette réussite ?

J.T. : À beaucoup de travail et de sincérité dans nos actions ! Je ne vais pas dire que nous faisons tout pour le diminuer, mais plutôt que nous cherchons à le faire croître très raisonnablement. Si nous étions juste en conquête du chiffre d’affaires, je vous dirai avec beaucoup d’aplomb que nous pourrions faire facilement 25 millions de chiffres d’un point de vue commercial, mais nous ne le faisons pas. Je n’ai pas encore trouvé la bonne formule pour croître fort, vite, de manière parfaitement humaine et écologique. C’est clair que nous avons une limitation de notre chiffre d’affaires résultant de notre capacité à produire. Pourquoi ? Parce que nous voulons continuer à nous développer avec une éthique impeccable, donc, nous freinons. La vraie évaluation de notre réussite avec toute l’équipe se fera sur le temps long.

Vous avez tenu un point de vente éphémère sur la place de la Comédie, quelle part du chiffre d’affaires a-t-il pris en comparaison à vos ventes en ligne ?

J.T. : Sur Montpellier, nous avons réalisé un très gros chiffre d’affaires. Sur 8 mois, il se comptabilise à 800 000 euros. C’est énorme ! C’est pour ça qu’on est là. Je vous fais une confidence : Montpellier, on n’était pas censé y rester. Pour nous, c’était une occasion géniale d’être sur la Comédie. Nous nous sommes dit : “On en profite pendant huit mois et on part”. Et en fait, le génial piège s’est refermé sur nous, parce que finalement, nous n’avons pas pu en repartir, tellement cela a été puissantissime de rencontre, de résultat, de chiffre d’affaires, d’événement et de notoriété. Cela a accéléré notre développement économique.

Quels sont les aspects à prendre en compte pour créer un jean éthique ?

J.T. : Je vous le dis avec sincérité, nous allons beaucoup trop loin dans l’éthique. D’abord, nous sommes très impliqués dans la filière en amont, à la sélection de la fibre. Des fibres que nous développons sur le territoire d’Occitanie : chanvre, laine et lin français. Ensuite, il faut garder en tête que le coût de revient d’un jean, c’est à 80% composé du coût de la main d’œuvre. On est incroyablement tributaire du métier manuel, des mains qui font. Créer un jean éthique, c’est donc prendre soin des salariés, des mains qui fabriquent. Nous parlions des grands mastodontes, est-ce que vous savez qui crée les jeans de la fast-fashion ? Vous ne le savez pas. Ce sont des personnes dans l’ombre, souvent mal payées et mal traitées. À la manufacture de Florac, on remet les mains au centre du processus.

Le chanvre est-il l’avenir du jean français ?

J.T. : Merci de poser cette question. Je suis, avec Myriam, de la 4e génération de Tuffery. Il y a eu trois générations avant, il y en aura peut-être dix après. On se lève le matin en se disant que notre mission entrepreneuriale, c’est de construire quelque chose qui sera génial dans 30 ans, quand on cédera les clés de la manufacture à la prochaine génération. Et pour être brillant dans trente ans, il faut se poser la bonne question. Est-ce que nous pourrons encore dans le futur utiliser du coton, souvent cultivé à l’autre bout de la planète ? Nous, on s’en est fait une raison : non, nous ne pourrons pas. Donc il faut trouver une alternative. Il se trouve que le chanvre en est une formidable, d’autant plus qu’il pousse en Occitanie. On travaille également avec du lin français, de la laine de Lozère et de la plaine du Crau à Arles. Cela a énormément grandi depuis dix ans et je pense que dans trente ans, ce sera la solution clé pour répondre à ce besoin de “stop au coton”.

Pour autant, cette matière est-elle économiquement intéressante ?

J.T. : Économiquement parlant, si on s’attardait à cela, nous ne ferions pas du chanvre. Cela nous coûte une fortune. On est trop ayatollah de l’éthique. Si nous étions dans une optique court-termiste, nous ne ferions ni laine, chanvre ou lin parce que nous avons des coûts de revient sur les pantalons qui sont stratosphériques. Nous achetons 12€ un mètre de toile de coton en France, – ce qui est énorme, car quand vous l’achetez à l’autre bout du monde, il est à moins d’un euro. Une fois que vous basculez sur du chanvre ou du lin à 35€, 36€, 38€ du mètre, c’est déraisonnable. Mais je pense qu’il faut faire cet effort aujourd’hui pour assurer la pérennité de l’entreprise pour les temps d’après.

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